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Crise économique et risque d'Intermittence

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Lors des projets d’accompagnement stratégique que je mène avec des entreprises françaises, la question des tendances long terme se pose régulièrement dans le cadre de l’analyse de l’environnement marché. Lors d’une mission récente, l’entreprise cliente a d’elle-même proposé que nous nous référions aux travaux récents de Bpifrance Le Lab comme support aux réflexions des tendances long terme ; et il est vrai que Le Lab 1 avait fait, comme très souvent, un travail très intéressant.

Bpifrance Le Lab liste et approfondit 8 « tendances majeures qui vont transformer l’économie », plus ou moins accélérées par la crise Covid19 (par ordre d’accélération par la crise) : Digitalisation à pas forcés ; Respect du climat et de l’environnement ; Nouvelle relation à l’espace ; Flexibilité et résilience ; Quête de sens ; Sécurité sanitaire et santé ; Autonomie et Souveraineté ; Nouveaux modes coopératifs et solidaires. Parmi ces tendances, apparaît bien entendu ce qui a rapport avec le « télétravail », en particulier dans les tendances « Digitalisation à pas forcés » et « Nouvelle relation à l’espace ».

Néanmoins, en continuant à y réfléchir et y travailler au-delà de cette mission client, il m’a semblé qu’il y avait 3 tendances long terme majeures, en partie capturées par l’étude Bpifrance, mais sur lesquelles nous pouvions insister plus particulièrement. Il s’agit notamment, par ordre chronologique d’apparition et amplification des tendances :

  • La personnalisation & l’individualisation
  • L’omnicanal / le « phygital »
  • L’Intermittence

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  1. Personnalisation & individualisation

Dans la sphère BtoC de nos économies, la personnalisation & l’individualisation sont déjà très présentes : de la possibilité de personnaliser et d’individualiser sa cuisine grâce aux outils logiciels, à la démultiplication des couleurs pour des pièces de décoration de la maison, aux recommandations personnalisées sur les plateformes (Netflix pour les productions audio-visuelles, Amazon pour les livres, etc…).

Cette tendance clé a commencé à s’étendre dans les sphères « publiques de l’économie », par exemple dans certains dispositifs publics en France. Ainsi le CPF (Compte Personnel de Formation) peut être vu comme une personnalisation dans le droit social français. Cette tendance pourrait déboucher, à terme, vers une situation où, schématiquement, le droit social français n’a plus l’entreprise comme point de référence dans la relation entreprise-travailleur, mais au contraire le travailleur comme point de référence dans cette relation (le travailleur devient le centre, et les entreprises et autres expériences – ce y compris les formations - un flux autour du travailleur).

Dans la sphère BtoB, cette tendance devrait également prendre de l’ampleur : les entreprises BtoB ont dû traditionnellement arbitrer entre des approches industrialisées & standardisées (avec des offres de Produits / Services « sur l’étagère ») d’une part, ou des approches sur-mesure (et notamment des offres « Projet ») d’autre part. L’enjeu de cette tendance va être de permettre aux entreprises BtoB de proposer des offres avec une partie importante de sur-mesure, mais avec un système de Production & Delivery industrialisé, pour permettre notamment des volumes significatifs, des coûts compétitifs, et des process qualité adéquats. Les nouvelles technologies, notamment celles liées à l’Industrie du Futur (ex : impression 3D), semblent permettre l’amplification de cette tendance. 

  1. Omnicanal / Phygital

Dans la sphère BtoC de nos économies, l’Omnicanal / le Phygital est une tendance qui existe depuis plusieurs années (en particulier pour des Produits non-frais : vêtements, livres, électroménager…), et qui a continué à prendre de l’ampleur pendant la crise, les restaurants eux-mêmes étant amenés à se convertir à cette tendance du « click & collect ». L’on peut imaginer que cette tendance va s’étendre à l’intégralité de la sphère BtoC, y compris pour des achats plus conséquents, les vendeurs de voiture commençant eux aussi à adopter cette approche par exemple. Il est important de noter que l’Omnicanal n’est pas la création de nouveaux canaux de distribution ou de parcours d’achat disjoints et séparés, mais bien l’amplification d’un système de « redondance » : un client / utilisateur peut passer par n’importe lequel de ces canaux, y compris de façon « désordonnée », avec passerelles entre les canaux. La difficulté de la tendance de l’Omnicanal est justement celle de la lisibilité du parcours client, et donc in fine la difficulté de planification des ressources pour l’entreprise.

Dans la sphère « publique » de l’économie, il me semble que le terme de « télétravail », c’est-à-dire de travail à distance, ne rend pas complètement compte de la tendance qui a explosé pendant la crise Covid, et qui a de grandes chances de continuer à s’amplifier désormais. En effet, il ne s’agit pas tant d’une tendance « multicanale » avec l’ajout d’un nouveau canal de travail (le bureau in situ / le travail à distance en télétravail), mais plutôt d’une approche omnicanale du travail et du bureau, comme le reflète le développement des « Flex Offices » et autres espaces de travail partagé, ces bureaux prévus pour accueillir des travailleurs sans emploi du temps ni postes de travail fixes. Parfois au bureau, parfois à distance, de façon mixte, et non planifiée longtemps à l’avance. L’enjeu étant bien entendu la coordination et le partage d’information quant à l’occupation des bureaux, et gérer la sur-utilisation comme la sous-utilisation de ceux-ci. Encore une fois, la difficulté principale pour l’entreprise est la planification et la coordination des moyens (ici notamment la capacité des bureaux).

Enfin dans la sphère BtoB, des mouvements similaires ont déjà débuté, qui permettent à la fois d’avancer dans le tunnel d’acquisition par des expériences utilisateurs et de la collecte d’information en ligne, et de finaliser les étapes d’achat ou de Production in situ (ex : les configurateurs & deviseurs de matériels pour les professionnels du BTP). Cette tendance pourrait s’amplifier et s’étendre à l’ensemble de la sphère BtoB, en particulier avec la convergence Services – Produits et un ensemble de « prestations outillées », y compris dans les prestations intellectuelles.

  1. Intermittence

Autant les 2 tendances précédentes sont déjà bien installées et devraient continuer à prendre de l’ampleur et se propager à l’ensemble des sphères économiques, autant cette 3ème tendance ne semble pas visible pour tous, et sa probabilité de matérialisation en tant que tendance structurante long terme est probablement plus discutable, par nature.

Néanmoins, il semble que du fait du risque de pandémies ou autres événements « brutaux » et d’ampleur globale, ce sont les perturbations de la dimension spatiale qui ont attiré l’attention des analyses et commentaires : « télétravail » (travail à distance), « nouvelle relation à l’espace » (selon l’étude Bpifrance Le Lab), limitation des déplacements physiques de personnes et confinements de personnes (« lock-down »), fermetures de frontières, etc… Néanmoins, les produits ont continué à se déplacer, et les limitations des déplacements n’ont pour origine que la sphère « réglementaire » car il ne s’agissait pas de la résultante d’une force économique (au sens des 5 forces de Porter).

Ce qui semble avoir été réellement percuté par cette crise Covid19 est plutôt la dimension temporelle, ce qui a été notamment mis en lumière par la découverte du mode « stop & go » proposé par les gouvernements en tant que réponse à la situation : une alternance de périodes très disjointes, en termes de droits bien sûr, mais aussi en termes de caractéristiques économiques et physiques. Si l’on peut penser, ou espérer, que la crise Covid19 soit bientôt derrière nous, il existe des voix qui prédisent d’autres pandémies dans les années à venir, voire d’autres phénomènes qui auraient pour conséquences possibles ce recours au mode « stop & go ».

Il est donc possible, bien que plus incertain, qu’il s’agisse d’une véritable tendance long terme, et que cette révolution de la discontinuité du temps, alors que nous étions habitués à un temps continu et uniforme, impacte très significativement les sphères économiques et nos modèles d’analyse. En élargissant cette tendance au-delà des sujets sanitaires, cette discontinuité temporelle peut être reliée à un phénomène plus large d’Intermittence : une alternance de périodes discontinues, avec des phénomènes de ruptures entre les périodes de temps successives.

Risque d’Intermittence et Potentiel de Résilience

Ce concept d’Intermittence nous amène également à mieux caractériser un terme qui a été beaucoup utilisé récemment, mais qui n’a pas fait l’objet de définition ni caractérisation précises : la Résilience d’une entreprise.

En effet, si l’on considère l’Intermittence comme l’ensemble de phénomènes de discontinuité temporelle avec rupture significatifs, la Résilience peut être caractérisée comme la capacité à « survivre » à cette intermittence, à passer « de l’autre côté » de cette discontinuité brutale.

Ces deux concepts ont des implications très fortes sur les entreprises et les réflexions de pérennité ; mais également sur ceux qui prennent le « risque économique de l’entreprise » : banques, assureurs, fonds d’investissement, politiques publiques, etc…

Nous invitons l’ensemble de ces parties prenantes à se poser la question de l’exposition des entreprises au risque d’Intermittence, et à développer leur potentiel de Résilience. Ce sont ces sujets que l’auteur de ce papier se proposera d’approfondir ultérieurement.

Jérémy Doukhan [ Linkedin ] – ELIKHÂN / Expert en Stratégie de Croissance et de génération de Cash

 


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