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L'Intelligence Artificielle appliquée à nos lignes de production « traditionnelles »

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Peut-on gagner de l’argent avec l’IA lorsqu’on est une industrie « traditionnelle » ? L’IA, miroir aux alouettes ou arme de profits massifs… ?

Soyons pragmatiques et réalistes ! Et essayons de démêler le vrai du faux.

L’Intelligence Artificielle n’existe pas mais…

Tout d’abord, rappelons en quelques mots ce qu’est l’IA (l’Intelligence Artificielle) aujourd’hui et ce qu’elle n’est pas. Nous pouvons nous appuyer sur Luc Julia [1], un expert international, français de surcroît, cocréateur de Siri l’intelligence artificielle d’Apple qui « comprend » vos paroles sur les IPhone et essaye de répondre à vos questions. Cette autorité mondiale a publié début 2019 un livre au titre provocateur « L’intelligence artificielle n’existe pas ». Il faut prendre ce titre au pied de la lettre, il n’y a pas d’intelligence (pas une once !) dans les outils d’IA disponibles sur le marché.

Ceci étant clairement posé, les outils d’IA sont pourtant des technologies qui offrent un formidable potentiel d’amélioration et d’optimisation des process industriels existants. Que l’on travaille dans la chimie, la mécanique, l’agroalimentaire, les matériaux, etc. dans tous les secteurs, toutes les lignes de production industrielle sont susceptibles d’en tirer parti. En fait, c’est l’intelligence humaine du producteur industriel qui peut être assistée ou augmentée par ces nouveaux outils, IA signifiant alors Intelligence Assistée ou Intelligence Augmentée, intelligence ayant alors tout son sens puisque c’est de vous qu’il s’agit.

Comment ? Revenons aux fondamentaux.

IA peut-être mais « Business as usual » first.

Depuis toujours, un dirigeant d’entreprise industrielle a deux préoccupations principales : vendre et produire. Même si de nombreuses applications de l’IA existent pour doper les ventes, nous n’en parlerons pas ici et nous concentrerons sur la production proprement dite. Et dans cette production, nous regarderons uniquement le process de transformation des matières premières en produits finis, indépendamment des questions d’approvisionnement en laissant ainsi de côté les questions très importantes de supply chain et d’optimisation des prix d’achat pour laquelle l’IA peut également être d’un précieux secours.

Sur ces lignes de production, les préoccupations n’ont guère varié depuis la révolution industrielle née il y a plus de deux siècles :

  • Optimiser les coûts : moins de matières premières, moins de matières coûteuses, moins d’énergie, moins de main d’œuvre (plus d’automatismes), moins d’arrêts pour maintenance, moins de rebuts pour non-respect des tolérances de fabrication, etc.
  • Améliorer la qualité perçue par le client : fiabiliser le produit (selon les cas, en matière de conformité, de durée de vie espérée, de garantie sanitaire, etc.), améliorer sa facilité d’usage ou diminuer son coût d’usage, optimiser son élimination au terme de son cycle de vie, etc. tous sujets qui peuvent conduire à faire évoluer les lignes de production et nous ramènent au premier point, d’optimisation des coûts.

Pour réaliser ces objectifs, le producteur met classiquement en œuvre deux démarches :

  • Optimiser tout ce qui peut être optimisé dans sa chaine de production existante : régler au mieux les machines, ajuster les dosages, simplifier les parcours, les durées d’attente, etc.
  • Introduire de nouveaux éléments innovants dans la chaîne de production, souvent sous forme d’investissements industriels mûrement réfléchis et financièrement soupesés…

Face à la question de savoir s’il est opportun de faire appel à l’IA pour aider les producteurs dans ces démarches, il n’y a pas lieu de s’écarter de la ligne de conduite habituelle qui guide les décisions du dirigeant mais bien au contraire, d’appliquer la démarche industrielle classique (depuis 200 ans et plus…) face à l’introduction possible d’une amélioration ou innovation sur une ligne de production.

IA : Innovation certes mais pas tant que ça.

Avant de revenir sur cette démarche, un mot sur l’innovation que représente l’IA dans le champ des techniques qui nous ont conduits de l’âge du chasseur-cueilleur (avec l’invention de l’agriculture et de l’élevage) au monde de l’exploration spatiale et à l’allongement spectaculaire de la durée de vie humaine. D’aucuns prétendent que l’IA est une nouvelle révolution industrielle, potentiellement plus radicale que la machine à vapeur ou l’électricité. Peut-être, nous n’en débattrons pas ici (**) et nous nous limiterons à l’usage pragmatique de l’IA sur une ligne de production.

En fait, les techniques que l’on peut mettre en œuvre sont, comme beaucoup d’innovations, un recyclage amélioré de techniques anciennes, amélioration offerte par l’émergence d’autres innovations connexes, rendant possible ce qui n’était que potentiel (les inventions de Léonard de Vinci furent victimes de cette non-concomitance). L’IA d’aujourd’hui s’appuie sur des techniques dont beaucoup furent développées au 18ème, 19ème et début du 20ème siècle mais sont aujourd’hui dopées par la puissance des ordinateurs qui les ont traduites sous forme d’algorithmes.

En d’autres termes, ce que peut apporter l’IA à une ligne de production est finalement assez banal car ancien dans ses fondements mais peut être très puissant et donc de haute rentabilité à condition d’être utilisée « bien à propos ».

IA rime avec Data (et pas nécessairement avec Big Data).

Le bémol qu’il faut avoir en tête à propos de l’IA est que celle-ci ne peut fonctionner efficacement sans données de qualité. Il n’est pas obligatoire d’avoir beaucoup de données (IA ne rime pas systématiquement avec Big Data) mais les données sur lesquelles l’IA travaillera devront être de qualité : continuité du référentiel de données sur la chaine, peu de non-valeurs, peu de valeurs aberrantes, pas trop de « trous dans la raquette » le long de la chaine de production où certaines zones sont tellement automatisées (ou anciennes !) qu’on ne sait plus ce qui s’y passe.

IA, innovation et démarche business.

Revenons-en alors à notre ligne de production et à la démarche consistant à introduire une innovation sur notre ligne, en l’occurrence une innovation IA.

Étape 1 : Sélectionner la valeur business visée et les indicateurs associés qui seront le juge de paix de la rentabilité de notre investissement. Par exemple, un rendement matière mais cela peut être n’importe quoi d’autre de pertinent (peut-être un point de douleur…) et doit être choisi en fonction du business et du type de production. Par souci de simplicité, nous continuerons avec cet exemple d’un rendement.

Étape 2 : Étudier la variabilité de l’indicateur en fonction de la production. Si cet indicateur est parfaitement stable et constant, il n’est pas pertinent. Si en revanche il varie, c’est bon signe, on peut soit chercher à augmenter sa valeur moyenne (si proportionnel au rendement), soit réduire sa variabilité (sa variance en termes mathématiques).

Étape 3 : Faire une étude de rentabilité de ce que rapporterait une amélioration de l’indicateur, ici du rendement, de 1 ou plusieurs points en tenant compte du court terme versus le moyen ou long terme, de l’évolution du marché, de la concurrence, etc. Combien de points de rendement prendre en compte dans cette étude ? D’abord se fier à l’expérience des producteurs qui sont sur le terrain, tous les jours sur la ligne. Mais on peut aussi regarder l’écart-type de l’indicateur et viser une amélioration d’un écart-type ou d’un demi-écart-type.

Étape 4 : Aller regarder quelles sont les données brutes dont on dispose sur la ligne depuis son alimentation tout en amont (y compris le nom des fournisseurs) jusqu’au tout aval avec le produit fini. Évaluer la quantité, la qualité de ces données et leur « part humaine » (exemple, un contrôle visuel). S’interroger sur la stabilité de la ligne pendant les périodes considérées (dysfonctionnements exceptionnels, changement d’équipes ou d’équipements…) car les algorithmes ont besoin d’ « hypothèses stables » ou alors il faudra « redresser » les données.

Étape 5 : Interroger des sociétés spécialisées dans l’IA pour évaluer le coût d’étude et de mise en œuvre d’une solution à base d’IA. A ce stade, si l’on n’a pas l’expertise en interne, il vaut mieux se faire accompagner par un conseil ayant une double compétence IA et Business car les pièges peuvent être nombreux et l’intérêt des sociétés spécialisés en IA est bien de vendre leur solution ou leur approche et d’éventuellement minimiser un certain nombre de coûts cachés. Dans une démarche d’innovation traditionnelle (une nouvelle machine, par exemple), les producteurs connaissent ces coûts cachés. C’est rarement le cas pour une démarche IA. Il faut être prudent, sans être paranoïaque, juste rigoureux comme d’habitude lorsque l’entreprise décide d’un investissement, en prenant en compte tous les coûts sans exception.

Étape 6 : Des étapes 3 (étude de rentabilité) et 5 (coût de l’approche IA), on en déduit un ROI qui comme beaucoup de ROI n’est qu’une approximation. Reste l’évaluation des risques, un SWOT [2] bien classique (forces/faiblesses/opportunités/menaces) doit pouvoir aider le dirigeant dans ses choix.

Étape 7 :  Si le dirigeant donne son Go, il faudra suivre le projet IA comme on suit n’importe quel projet avec chef de projet, comité de projet et/ou de pilotage, reporting, etc. jusqu’à la phase de mise en production avec les nouveaux paramètres ou nouveaux outils de contrôle, fruits de l’introduction de l’IA dans le processus de production : Nouveaux réglages machines, nouvelles compositions des matières premières, nouvelles normes de tolérance ou de contrôle, nouveaux automatismes, etc.

Fondamental : Associer l’humain dès le tout début du projet.

Il est un point extrêmement important qu’il nous faut signaler à ce stade et auquel il faudra prêter la plus grande attention tout au long d’une telle démarche. Il faut associer étroitement les acteurs de terrain au projet dès la phase de réflexion préalable. Compte-tenu de toutes les incompréhensions auxquelles elle est sujette et même de tous les fantasmes dystopiques dont elle peut faire l’objet [3], tout projet IA peut être inquiétant et mal perçu. L’association des personnes impactées de près ou de loin par le projet peut aider à faire comprendre les enjeux, à démystifier tous les fantasmes, dégonfler les craintes et préparer la conduite du changement. Les gens de terrain peuvent être alors extrêmement coopératifs et comme ce sont eux qui savent et sont intelligents (et non l’IA qui ne comprend rien), le résultat final sera d’autant meilleur : Souvent, l’IA renforcera et optimisera des intuitions qui préexistaient sur le terrain.

L’IA n’implique pas nécessairement des investissements complémentaires.

Enfin, il est à noter qu’entamer une démarche IA n’implique pas nécessairement de modifier une ligne existante ou d’y ajouter de nouveaux équipements que ce soit pour capter de nouvelles données ou remplacer un processus manuel (l’IA peut aussi aider à optimiser un processus manuel). Vous ressentirez peut-être la nécessité de tels ajustements dans une seconde phase, pour aller encore plus loin mais alors, vous vous sentirez beaucoup plus sereins car votre premier projet IA sera déjà derrière vous avec, espérons-le, les résultats positifs initialement escomptés.

Frédéric Antérion
frederic.anterion@brainnov.fr
https://www.linkedin.com/in/frederic-anterion/

 

 

Télécharger la Lettre de XMP-Consult n°8 (juin 2020) en .PDF

  

 

[1] Luc Julia  : »L’Intelligence artificielle n’existe pas » chez First Edition (janvier 2019). Il est aujourd’hui vice-président innovation de Samsung monde et directeur de son laboratoire d’IA récemment créé sur Paris.

[2] SWOT = Strengths / Weaknesses / Opportunities / Threats

[3] Pour dépasser le caractère terre-à-terre de cet article qui se veut pragmatique et s’évader vers des potentialités d’une IA surpuissante dépassant les humains, lisez par exemple « La vie 3.0 – Être humain à l’ère de l’intelligence artificielle » de Max Tegmark (professeur de physique au MIT et président du Future of Life Institute) chez Dunod (Mai 2018). Sans garantie sur la probabilité de réalisation de ses prédictions mais l’exercice permet de réfléchir en profondeur.




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