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La RSE, une carte pour un territoire chaotique

Publié par Antoine JAULMES
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Contrairement aux crises du XXe siècle qui s’étaient poliment cantonnées à un secteur précis (« crise du pétrole », « crise de la dette », « crise de l’emploi », …) sans aller jusqu’à provoquer des remises en cause globales, les crises du XXIe siècle sont mondiales et interdépendantes. Elles se propagent et s’entretiennent  mutuellement par effet domino, et forment ensemble une seule et vaste crise systémique, LA crise du XXIe siècle. Face à cette réalité globale dont les effets se font à présent sentir dans tous les secteurs de l’économie mondiale et qui met en péril la pérennité de certaines activités, les dirigeants d’entreprise peuvent légitimement s’interroger sur la meilleure manière de relever les redoutables défis d’adaptation qu’exige le contexte. Pour s’orienter dans ce territoire dangereux, il existe heureusement une carte : une politique de RSE complète. Voici pourquoi…

Une crise qui déstabilise les entreprises 

Les faits, incontestables, sont sous nos yeux. Trois facteurs majeurs sont déterminants : 

  • La mondialisation des échanges de biens et de capitaux a permis la propagation rapide des crises dans le monde entier et amplifié les perturbations d’une manière inimaginable. Ainsi, la crise des subprimes, née sur le marché hypothécaire américain, a affecté nombre de banques européennes qui se croyaient hors d’atteinte, et mis en difficulté la plupart des gouvernements du monde. Rien qu’en Europe, les niveaux d’endettement des Etats ont bondi pour cause de soutien à l’économie (sans toujours pouvoir éviter la récession), et certains pays ont connu de graves difficultés : l’Islande (en quasi-faillite), la Suisse (touchée par la déconfiture d’UBS), les Pays-Bas (touchés de même par l’affaire ING), l’Irlande, la Belgique, l’Espagne ou la Grèce. L’intensification des échanges internationaux est également responsable de la diffusion mondiale fulgurante du virus de la Covid-19.
  • Deuxième aspect : les liens de causalité entre crises de nature différente. La crise climatique, source de mauvaises récoltes, produit des hausses de prix sur la nourriture qui entraînent des crises sociales dans les pays dépendant des importations, jusqu’à de véritables révolutions comme celles du Printemps arabe. Ces événements dégradent à leur tour la situation politique et militaire et provoquent des conflits armés, guerres civiles voire régionales par le biais d’interventions de puissances alliées telles que celle de la Russie en Syrie. Les vagues de migrations internationales, provoquées par la crise alimentaire et économique ou par les conflits, viennent déstabiliser des régions entières, etc. Transitifs, ces liens de causalité sont potentiellement circulaires et ont tendance à alimenter des spirales dangereuses.
  • Troisième élément, facteur fondamental d’aggravation de la situation : le dépassement des limites planétaires. Comme l’indique la cartographie publiée depuis 2009 par le Stockholm Resilience Centre, huit des neuf domaines qui conditionnent la pérennité de la vie sur terre sont aujourd’hui critiques :
  • le changement climatique, lié à la combustion massive de carbone fossile relâché dans l’atmosphère,
  • la chute de la biodiversité, ou extinction de masse des espèces naturelles,
  • le changement d’usage des sols (notamment la perte de surface de forêts et l’eutrophisation par accumulation d’azote et phosphore dans le sol, du fait de l’agriculture intensive),
  • la perturbation des cycles biochimiques de l’azote et du phosphore (menace sur l’intégrité des écosystèmes marins, à cause des phénomènes d’eutrophisation des milieux),
  • les nouvelles entités introduites dans l’environnement (ou pollution chimique), avec notamment la pénétration des matières plastiques dans tout l’environnement, eau, nourriture, jusqu’au cœur des océans,
  • l’utilisation de l’eau douce, dont la criticité a été découverte par les média et abondamment évoquée à l’été 2023,
  • l’acidification des océans (directement liée à la concentration de dioxyde de carbone dans l’atmosphère),
  • la charge en aérosols atmosphériques,
  • la diminution de la couche d’ozone (seule menace pour le moment tenue à distance par un accord international, le protocole de Montréal, signé en 1987).

Les entreprises doivent d’abord résoudre les difficultés de tous ordres directement occasionnées par ces situations : les effets des sécheresses, des inondations, des tornades, l’envolée des prix de l’énergie et les séries de nouvelles réglementations tentant d’organiser l’économie tout en protégeant les populations, notamment des effets des crises environnementales. Mais elles se trouvent en outre déstabilisées dans leur légitimité même, et confrontées à un triple dilemme :

  • asseoir leur légitimité en justifiant aux yeux du public (notamment les clients, les actionnaires et les financiers) le caractère sain et durable des produits et services proposés ;
  • rester ou redevenir attractives pour les jeunes talents qui cherchent de plus en plus à travailler dans un environnement et un esprit durable et équitable ;
  • trouver un modèle d’affaire robuste devant les changements et les menaces actuelles.

La RSE permet d’être en prise sur les événements

Une politique de RSE réfléchie et bien conçue constitue un atout maître pour répondre à ces questions. S’appuyant sur une bonne compréhension du contexte évoqué plus haut, une telle politique inclut :

  • une réflexion stratégique sur les impacts de l’activité de l’entreprise dans les domaines environnementaux, sociaux, sociétaux et éthiques. Ceux-ci peuvent être positifs ou négatifs selon la nature de l’activité. L’important ici est de les mesurer et de les prendre en compte dans la préparation de l’avenir de l’entreprise.
  • Une prise en charge de la restauration du capital environnemental et/ou naturel affecté par l’activité de l’entreprise. Cela implique non seulement la création d’une road map vers la décarbonation totale de l’activité, mais aussi vers la neutralité et la restauration des autres domaines affectant les limites planétaires : biodiversité, pollution, ressource en eau douce…
  • Une mise à niveau dans le domaine social, sociétal et éthique :
    • participation du personnel,
    • consultation des parties prenantes (collectivités locales, associations de riverains, clients, fournisseurs, …),
    • inclusivité vis-à-vis des minorités,
    • enjeux de l’amont (par exemple : droits humains et droit du travail dans la chaîne d’approvisionnement),
    • enjeux de l’aval (par exemple : traitement équitable des distributeurs et franchisés, problèmes d’addiction, utilisation détournée des produits…),
    • enjeux éthiques (lutte contre la corruption, démarches de transparence, procédures d’alerte internes efficaces et protection des lanceurs d’alerte…)
  • La concrétisation des engagements de l’entreprise par une démarche de certification et/ou de labellisation, et/ou toute autre démarche de validation par un tiers de confiance.
  • La publication de reportings précis et transparents en suivant par exemple les principes du GRI (Global Reporting Initiative).
  • Les formations à l’utilisation d’outils spécifiques de ces démarches doivent être largement diffusées : écoconception, méthode ACV, ACV sociale ou autres.

Une réponse à la hauteur des menaces

En fait, la plupart des entreprises possèdent déjà une partie des composantes, voire la quasi-totalité, d’une approche RSE. Aussi, dans la situation actuelle, le plus important est de capitaliser sur l’existant tout en l’inscrivant dans une vision stratégique cohérente. Même si elle est pour une part imposée par des réglementations récentes, la RSE est davantage une opportunité qu’une contrainte. De toute évidence, la mise en œuvre d’une politique complète de RSE permet :

  • de réduire l’exposition de l’entreprise à plusieurs risques (par exemple réputation, perturbations de la supply chain, compliance, corruption…),
  • de faciliter l’accès à des financements « verts » ou éthiques,
  • de susciter des économies en interne en réduisant les déchets et en développant la réutilisation ou le recyclage interne, en économisant l’énergie et les ressources,
  • de développer l’adhésion des équipes en interne, l’attractivité dans la perspective du recrutement de nouveaux salariés, la légitimité vis-à-vis de l’extérieur,
  • en prise avec les attentes exprimées par les parties prenantes, faire évoluer les produits ou les services par un marketing responsable, voire le positionnement de l’activité de l’entreprise, afin de lui donner de nouveaux territoires de croissance.

Un élément apparaît essentiel à la lecture de cette énumération : une bonne partie des actions suppose un développement du dialogue tant en interne de l’entreprise qu’en externe. Il s'agit d'un dialogue volontaire où les parties prenantes s'engagent dans la durée, avec l'objectif d’aboutir, dans un esprit partenarial, à la mise en place ou à l’amélioration d'une politique de RSE prenant en compte les intérêts divergents de tous. Même s’il est indiscutablement utile de s’appuyer sur un intervenant neutre, potentiellement extérieur à l’entreprise, pour faciliter les discussions, il est nécessaire de mobiliser dès le début les compétences internes habituées au dialogue externe comme les responsables de la satisfaction client ou les acheteurs[1]

Au final, s’engager dans une politique globale et réfléchie de RSE, c’est permettre à l’entreprise d’être en prise sur les attentes des parties prenantes externes et de s’appuyer largement sur une intelligence collective indispensable devant la complexité et la rapidité des changements. C’est un véritable atout pour réussir à naviguer dans le chaos d’un monde qui traverse une crise globale.

Antoine Jaulmes

Secrétaire général XMP-Consult

Auteur de « Comprendre la RSE, levier de transformation durable » (2023).


[1] De nombreux documents de référence existent pour structurer et conduire de manière efficace le dialogue avec les parties prenantes : lignes directrices publiées par le MEDEF ou méthodologies d’origine internationale (ISO 26000, GRI4, AA1000SES - Stakeholder Engagement Standard, guide de l’UNEP (United Nations Environment Programme), guide de l’International Finance Corporation, UN Global Compact, Principes directeurs de l’OCDE). Pour plus de précisions, nous renvoyons à notre ouvrage « Comprendre la RSE, levier de transformation durable » par Henri Fraisse, Antoine Jaulmes et Stéphane Bellanger, Editions Larcier 2023.




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