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Prospérer dans le chaos ? Hommage à Tom Peters

Publié par Antoine JAULMES
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Pouvait-on ne pas évoquer la figure magistrale de l’auteur du « Chaos Management[1] » dans une publication consacrée aux problèmes que pose à la direction d’entreprise notre monde chaotique ? Dans un marché des idées toujours avide de nouveautés, on aurait certes pu le considérer comme dépassé, et réduire ses idées à l’une des nombreuses modes qui submergent périodiquement le conseil en management… Mais c’eût été ignorer un apport visionnaire par rapport aux problématiques d’aujourd’hui ! A l’usage de ceux qui n’ont pas débuté professionnellement à l’époque de sa plus grande notoriété, voici pourquoi...

Tom Peters, l’ « über-gourou »

D’abord une note personnelle : j'ai fait partie de ceux qui ont été durablement influencés par Tom Peters. Peu de temps après mes débuts à la Direction de la Production d’Automobiles Peugeot, j'ai lu La passion de l'excellence[2], son deuxième livre, et j'en ai même diffusé une analyse personnelle autour de moi. Les concepts développés dans ce livre sont entrés dans ma pratique courante, par exemple le MBWA (Managing By Wandering Around, alias le management baladeur), ou l’obsession du client, ou le fait de toujours donner du sens à nos actions et de le communiquer aux équipes. Et comme Tom Peters est un excellent conteur, je n’ai pas oublié l’histoire de la chaîne de pizzas qui préfère acheminer des pâtons par avion plutôt que de décevoir des clients, de l’équipe de R&D (aéronautique) dix fois plus petite qui fait aussi bien que la grande équipe concurrente et qui emporte le marché, de l’industriel fabricant de soupe qui met de l’amour dans ses boîtes, ou même de ces éboueurs fiers de leur métier et de leur entreprise. Et cela a nourri mes premières années de responsable de production de multiples idées porteuses de sens et de relations humaines.

L’ouvrage qui avait rendu Peters célèbre, Le prix d’excellence[3], avait été diffusé à plus de 4,5 millions d’exemplaires dans la seule langue anglaise. Cette diffusion exceptionnelle fait que l’on considère qu’il s’agit là de l’ouverture d’un nouveau segment dans le marché de l'édition - segment que Peters lui-même dominera d’ailleurs pendant un quart de siècle avec ses publications successives. L’auteur figure régulièrement dans ces listes de « penseurs » ou de personnalités influentes dont les Américains sont friands, aux côtés de Peter Drucker, Abraham Maslow, John Kotter, Bill Gates, CK Pralahad ou Henry Mintzberg.  The Economist l’a surnommé de manière un peu ambigüe « l’über-gourou » du management, et le magazine Fortune l’a quant à lui décoré du titre ronflant de « ur-guru » (gourou originel) de la gestion d’entreprise. Voilà pour l’auteur, venons-en au livre, car, contrairement à d’autres qui se bornent à décliner les mêmes idées dans plusieurs livres, son troisième texte, Thriving on Chaos (1987), continue à innover.

Qu'est-ce que la théorie du chaos en matière de management ?

Inspiré par la théorie mathématique et physique dite théorie du chaos, Peters introduit la notion que l'imprévisibilité des événements et des comportements est également une réalité dans les organisations ou les entreprises. Là s’arrête la similitude avec la théorie mathématique. En effet, il s’agit avant tout pour Peters de marquer les esprits en martelant que les entreprises sont – ou sont devenues sous l’impact des nouvelles technologies - des systèmes complexes, dynamiques, non linéaires, co-créés et loin de l'équilibre. Elles sont donc rétives aux méthodes héritées du passé dont font partie les structures hiérarchiques lourdes, les divisions entre directions (nous dirions aujourd’hui les silos), la planification trop rigide et les recettes toutes faites.

Pour permettre aux entreprises de « prospérer dans le chaos », Tom Peters suggère aux managers 45 mesures pratiques pour devenir proactifs et répondre au changement. Il organise ces recommandations en cinq domaines : 1) être à l'écoute du client ; 2) innover constamment dans tous les domaines ; 3) établir des partenariats avec toutes les personnes liées à l'organisation ; 4) créer une vision inspirante fondée sur le changement ; et 5) mettre en place des contrôles qui mesurent ce qui est vraiment important.  

En conclusion, il formule un principe essentiel : pour faire fonctionner et pérenniser une organisation dans l'incertitude d’un monde de plus en plus chaotique, il faut que cette organisation puisse s'appuyer sur au moins une certitude : celle de la solidité des relations entre les personnes, les groupes et les équipes. Il appelle donc les dirigeants à faire preuve d'une intégrité et d'une honnêteté totales, qui constitueront les fondations de la confiance nécessaire au sein des équipes et au travers de toute l’organisation.

Des principes plus actuels que jamais

Quand Tom Peters préconise l'élimination des règles bureaucratiques et des conditions humiliantes, l'obsession de l'écoute, la décentralisation de l'autorité et de la planification stratégique, lorsqu’il conseille aux managers d’accorder leur confiance aux salariés jusqu’au plus bas de l’échelle, et à ceux qui sont au contact des clients, de déléguer chaque fois que possible, de gérer par l'exemple, de prévoir des primes d'encouragement pour tous et d'évaluer chacun en fonction de sa capacité à changer, on a l’impression qu’il s’adresse aux lecteurs de 2024 plus qu’à ceux de 1987. Ces idées voient d’ailleurs leur pertinence accrue dans le cas du management « en distanciel » qui peut installer les managers dans un fonctionnement bureaucratique et réduire leur capacité d’empathie envers leurs collaborateurs ou leur compréhension des besoins clients.

De manière tout aussi actuelle, lorsque Peters recommande une « intégrité totale » dans toutes les relations avec les personnes à l'intérieur et à l'extérieur de l'organisation, on est dans le ton de ce qui s’impose aujourd’hui comme une exigence sociale, notamment de la part des plus jeunes générations arrivées dans le monde du travail. De même, il est devenu essentiel pour chaque entreprise de susciter des partenariats avec toutes ses parties prenantes extérieures.

Au fond, le livre invite les dirigeants, d’une part, à épouser le changement (« nous devons simplement apprendre à aimer le changement autant que nous l'avons détesté dans le passé »), et, d’autre part, à le conduire de manière collaborative, en s’appuyant sur toutes les ressources et les capacités humaines de l’entreprise qu’il s’agit de mobiliser durablement, par un management exigeant mais respectueux, recourant à l’intelligence collective.

Certes, on trouvera forcément des défauts à ce livre à la fois assez long et peu conceptuel, avec des exemples à la tonalité parfois légèrement désuète, mais la plupart de ses messages-clés sur le leadership font mieux que résister à l'épreuve du temps, puisqu’ ils reprennent au contraire force devant la situation actuelle de chaos (ou de disruption, dirait-on en franglais d’aujourd’hui), occasionné à la fois par les dernières avancées technologiques mais aussi par le changement climatique et les autres éléments de la crise systémique actuelle.

Alors n’hésitons pas à relire cet ouvrage au caractère visionnaire pour y trouver des pistes supplémentaires et mieux faire face aux soubresauts actuels de la conjoncture et de l’économie.

Antoine Jaulmes


[1] Thriving on Chaos, Alfred A. Knopf, 1987, traduit en franglais par Le chaos management.

[2] A Passion for Excellence, HarperCollins, 1994

[3] In Search of Excellence, Harper and Row, 1982




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