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L'évaluation des entreprises à l'heure du coronavirus

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Les impacts de la crise sanitaire ont été très forts, en termes collectif et individuel.

Les entreprises ont été mises au défi de s’ajuster très rapidement afin de faire face à l’urgence. Avec l’interconnexion des crises – sanitaire, économique, sociale, environnementale – la donne a changé et l’ensemble des parties prenantes doit s’interroger sur les impacts durables de cette expérience tout aussi inédite qu’intense.

Cette expérience a conduit les entreprises à faire face rapidement en mettant en œuvre de nouvelles procédures et pratiques managériales (notamment : stratégie, business model, précautions sanitaires, modes de travail, …).

Elle confirme donc la volatilité, l’incertitude, la complexité et l’ambiguïté (VUCA) de l’environnement dans lequel les entreprises évoluent. Ce contexte de crise rend encore plus difficile et incertain l’exercice d’évaluation des entreprises, alors même que l’on observe une segmentation plus franche entre les entreprises performantes et celles qui le sont moins.

Ainsi, comment appréhender la résilience et la capacité de rebond de l’entreprise à évaluer ? Quels sont les points de vigilance à retenir au cours du processus d’évaluation qui distingue les étapes de diagnostic stratégique, organisationnel et financier ?

Il convient de mener une analyse afin d’apprécier les impacts structurels de cette crise sur le business model et le positionnement de l’entreprise considérée.

En tout premier lieu, il faut s’assurer que l’entreprise est bien en situation de continuité d’exploitation et non en état de cessation de paiement. Pour ce faire, il s’agit d’analyser les prévisions de trésorerie et sa capacité à demeurer solvable à court-terme.

Ensuite, l’analyse stratégique est une phase importante, car elle permet de prendre connaissance de l’environnement dans lequel évolue l’entreprise. Elle consiste à identifier tous les éléments qui ont une influence sur la pérennité de l’entreprise. Il s’agit donc de pointer les facteurs endogènes et exogènes qui sont susceptibles d’avoir un effet favorable, ou au contraire défavorable, sur le niveau d’activité de l’entreprise.

Les répercussions de la crise auront-elles des conséquences sur son potentiel de développement (le marché), sur son modèle d’affaires (condamné, résilient, disruptif ?) ? Auront-elles une influence sur ses forces, ses faiblesses, les menaces ou les opportunités ?

Quels en seront les effets sur les prévisions d’exploitation et de trésorerie ?

Avec cette crise, le scénario d’une réversibilité quasi-automatique de « retour à la normale » est de moins en moins crédible et nombre d’entreprises, voire des secteurs entiers, vont être durablement impactés.

Puis, autre phase importante, les méthodes d’évaluation usuelles s’appuyant sur des multiples, des flux de trésorerie « normatifs », il convient d’identifier les indicateurs alternatifs de performance (APM) et les agrégats comptables « récurrents » du compte de résultat, d’identifier les éléments du bilan hors-exploitation et de déterminer la dette nette de l’entreprise à la date de l’évaluation.

Ainsi, il est indispensable de procéder à la neutralisation des effets de la crise sanitaire et d’analyser les paramètres (taux, échéances, reports, …) des financements « covid » de type PGE lors du calcul de la dette nette.

Cet examen s’effectue de manière pluriannuelle, tant rétrospectivement que prospectivement, afin d’appréhender d’éventuelles tendances.

A la suite de quoi il est d’usage de porter une appréciation de la cohérence du business plan, qui est un outil de traduction de l’intention du management (stratégie) vers l’intention du financier, au regard des données historiques, en tenant compte des hypothèses de croissance et d’investissements réévaluées à l’aune de la crise.

L’objectif de cette phase est de déceler des prévisions irréalistes ou incohérentes au regard des orientations stratégiques de l’entreprise.

A ce stade, il s’agit également d’étudier le comportement d’une entreprise et la « vitesse » à laquelle elle revient vers ses fondamentaux historiques. Pour ce faire, il faut prolonger l’horizon du business plan au-delà de la fenêtre temporelle habituelle afin de parvenir à une période qui reflète la reprise. Il est également nécessaire de réaliser une approche par scenarii (optimiste, réaliste, pessimiste) avec des probabilités d’occurrence.

Enfin, en matière d’évaluation, les méthodes d’évaluation usuelles restent applicables même si elles sont ajustées afin de tenir compte du contexte. Et dans le cadre d’une approche multi-critères, la méthode des flux futurs de trésorerie actualisés (DCF) confirme sa place centrale. Et, c’est également dans ce type de contexte que la pertinence des méthodes d’évaluation basées sur les options réelles ou les simulations Monte Carlo redevient critique, car elles permettent d’introduire un aléa.

Pour la plupart des entreprises, et par nécessité, les règles standards ont été adaptées afin de refléter les nouvelles réalités économiques découlant directement de la crise sanitaire.

De manière générale, l'évaluation des entreprises repose sur la prise en compte de trois approches principales, à savoir l'approche par les revenus, l'approche par le marché et l'approche par les coûts (ou les actifs). Bien que chacune de ces approches ait ses propres avantages et inconvénients dans des circonstances normales, les professionnels de l'évaluation ont tendance à accorder beaucoup plus d'importance, dans l'environnement actuel de crise, à la méthode des DCF, une variante de l'approche par le revenu, étant donné sa pertinence directe pour l'entité évaluée. Cette méthode tente de saisir la valeur d'une entreprise en calculant la valeur actuelle nette des flux de trésorerie à partir d'un ensemble de projections financières de l'entreprise, en utilisant un taux d'actualisation approprié ajusté au risque. Tout cela peut sembler quelque peu standard et simple, mais "le diable est toujours dans les détails".

Des questions se posent concernant les projections financières d'une entité pour les cinq prochaines années. Par exemple, dans quelle mesure pouvons-nous nous fier à ces projections et aux flux de trésorerie prévus ? Devrions-nous nous référer aux résultats d'exploitation historiques ? Quelle est la pertinence de ces informations historiques dans un scénario post-crise ? Les marges resteront-elles les mêmes ? Qu'en est-il de la structure des coûts ? L'entreprise pourra-t-elle accéder à un financement à un coût acceptable ? Qu'est-ce qui va changer aux yeux des banquiers et des financiers en ce qui concerne la perception du risque de cette entreprise ? Il y a beaucoup trop de questions auxquelles il faut répondre et la situation est encore plus compliquée si l'on considère le taux d'actualisation.

Outre les questions et les préoccupations soulevées ci-dessus, voici un résumé des principales modifications apportées au paysage de l'évaluation des entreprises dans l'environnement actuel de crise sanitaire :

  1. Toutes les entreprises n'ont pas été touchées de manière similaire par la pandémie. Certaines ont même connu une croissance et une prospérité phénoménales. Certaines ont subi de légers impacts sur leurs activités, tandis que d'autres ont subi des effets beaucoup plus graves. Par conséquent, les faits et conditions fondamentaux spécifiques à chaque entreprise qui affectent sa situation financière et ses perspectives d'exploitation doivent être pris en compte lors d’une évaluation.

  2. La récession économique et les perspectives de son redressement sont très incertaines : les entreprises fonctionnent dans le contexte de l'économie globale et du secteur spécifique dans lequel elles opèrent. L'ampleur et la durée de la récession économique et la reprise éventuelle, affectent les perspectives de croissance et de rentabilité tant au niveau des secteurs industriels que des entreprises. Par conséquent, les facteurs à prendre en considération et l'étendue de tout impact extraordinaire et non-récurrent sont, plus que jamais, une question de jugement et source de préoccupation pour la plupart des entreprises, et ils sont au centre du développement des projections financières de l'entreprise concernée. 

  3. L'accent est mis sur l'approche DCF de la valeur : un soin particulier doit être apporté à l'évaluation, y compris l'utilisation de scenarii et de résultats pondérés par la probabilité. La méthode du DCF requiert un jugement important, en conjonction avec les perspectives de la direction quant aux perspectives à long terme de l'entreprise.

  4. Des taux d'actualisation plus élevés ont un effet négatif sur la valeur des entreprises : la crise sanitaire a bouleversé l'économie dans son ensemble, ainsi que les conditions financières, les perspectives et les évaluations de nombreuses entreprises dont certaines pourraient ne jamais se redresser. Dans l'environnement actuel, l'ampleur de l'impact négatif lors de la reprise éventuelle est encore inconnue pour beaucoup et la survie des entreprises est souvent en jeu. En conséquence, les risques et l'incertitude des entreprises sont très élevés, ce qui affecte le profil de risque d'une entreprise donnée et son évaluation.

  5. Le coût moyen pondéré du capital (CMPC) est en hausse pour la plupart des entreprises : le CMPC (ou WACC) représente le « taux d'actualisation » utilisé pour convertir les flux de trésorerie prévisionnels en leur équivalent en valeur actuelle nette. Pour l'essentiel, le CMPC est déterminé sur la base de données dérivées du marché pour les composantes sous-jacentes du coût de la dette et du coût des capitaux propres d'une entreprise à la date d'évaluation. Nombre de ces données ont augmenté récemment, reflétant les risques et les incertitudes plus importants inhérents à la pandémie mondiale.

  6. Le risque et l'incertitude peuvent se refléter dans la projection des flux de trésorerie ainsi que dans le processus de détermination du taux d'actualisation. Ces facteurs ne s'excluent pas mutuellement ; en fait, ils sont liés entre eux. Par conséquent, l'évaluation doit veiller à ne pas compter deux fois le risque et donc à ne pas sous-estimer la valeur de l'entreprise. En d'autres termes, si le flux de trésorerie d'une entreprise a déjà été tempéré pour refléter pleinement les impacts liés à la crise actuelle sur le long terme, alors le calcul du taux d'actualisation doit être élaboré en fonction de ce risque prévisionnel.

  7. En cas de mise en œuvre de méthodes analogiques, les multiples prospectifs sont désormais privilégiés. En effet, ces multiples reflètent les effets de la pandémie mondiale sur les prix du marché et les bénéfices. Le corollaire est que l'historique financier récent d'une entreprise est désormais considéré comme un paramètre moins fiable pour indiquer la valeur, car il ne reflète pas entièrement les conditions financières post-COVID 19 et les perspectives de rentabilité de la société concernée.

  8. L'approche par les coûts (ou les actifs) a pris plus d'importance dans de nombreuses situations. En effet, de nombreuses entreprises sont devenues financièrement tendues (voire des zombies) et les perspectives d'amélioration opérationnelle et financière et de récupération de la capacité bénéficiaire peuvent être, au mieux, discutables. Dans de telles circonstances, l'approche par les coûts est souvent utilisée, notamment dans les situations où une entreprise peut avoir une valeur plus élevée sur la base de son actif net ou en liquidation, qu'en continuité d'exploitation.

  9. Dans le contexte actuel, les transactions d’entreprises ont considérablement diminué. Une baisse de l'activité du marché et du nombre d'acheteurs intéressés et consentants tend à accroître l'illiquidité. Étant donné l’incertitude qui plane sur le marché des fusions et acquisitions, il serait plus difficile que d'habitude de vendre une entreprise, du moins jusqu'à ce que la pandémie se résorbe, que l'économie et les marchés se redressent et que les acheteurs intéressés reprennent confiance pour conclure des transactions.

  10. Des procédures rigoureuses de test de dépréciation et de reconnaissance des actifs seront la nouvelle réalité : de nombreuses entreprises ont connu d'importants changements structurels de leurs modèles d'exploitation, ce qui a entraîné des tensions financières qui, à leur tour, peuvent donner lieu à des charges de dépréciation des actifs d'une ampleur significative.

Dans l'ensemble, la pandémie mondiale a modifié l'approche fondamentale de l'évaluation des entreprises et a obligé les professionnels de l'évaluation à procéder à une nouvelle estimation.

Stéphane Bellanger [ Linkedin ]

 


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