Actualités

Partager sur :

La relation partenariale peut-elle sauver la relation contractuelle ? Cas du secteur de la construction immobilière.

12 octobre 2020 La lettre de XMP-Consult
Vue 519 fois

Le partenariat est une association entre des personnes physiques ou morales, les partenaires, qui, dans une action commune, poursuivent un but déterminé. Partenaires de danse, partenaires sociaux, etc. (dictionnaires). L’Afnor, dans son lexique, précise que le partenariat est une relation de travail entre deux ou plusieurs parties, visant à créer de la valeur ajoutée pour le client. 

Il n’existe pas à ma connaissance de définition propre à l’immobilier (en dehors du cas particulier des PPP, Partenariats Public Privé, qui incluent pendant la consultation un dialogue compétitif entre les différentes parties, aboutissant à la désignation d’un lauréat et d’un contrat). On parle de partenariat lorsque, par exemple, un Promoteur immobilier s’associe à un Architecte pour répondre à la consultation d’une collectivité. Deux promoteurs peuvent également s’associer pour répondre à une affaire, chacun apportant son savoir-faire, sa garantie financière et son réseau. 

Le partenariat se distingue d’autres relations de travail, telles que celles d’un marché de travaux ou de maîtrise d’oeuvre, entre un prestataire et un Maître d’Ouvrage. Outre l’objet, le marché définit les relations entre les parties, notamment en cas de désaccord ou de manquements de l’une d’elle. Parfois, une partie peut être considérée par l’autre comme un partenaire lors d’un problème inattendu, et qu’elle fait preuve d’un zèle non prévu par les pièces contractuelles pour le résoudre. “Ah!, vous, vous êtes un véritable partenaire”. Cela relève, étrangement, de l'anecdote.

Pour ce qui suit, je considère les bornes d’une gamme relationnelle avec le partenariat à une extrémité et le contrat à l’autre, ce dernier faisant l’objet d’un marché exécuté par un titulaire. Entre les deux, toutes les nuances, incluant les contrats de partenariat, les PPP, et autres conventions. Promoteur Immobilier et Maître d’Ouvrage seront indifféremment notés MOA.

Qu’est-ce qui différencie la relation contractuelle de la relation partenariale ? 

  1. La constitution des parties : un marché fait l’objet d’une consultation formalisée permettant une analyse comparative rigoureuse des différents candidats sur la base de critères “objectifs”. Les partenaires se choisissent plus librement, sur des affinités ou des recommandations. 
  2. Le client. Le titulaire exécute l’objet du marché (ex. construction d’un immeuble de logements), contre rémunération du MOA, son client. Les logements sont destinés aux acquéreurs, clients du MOA. Il n’y a aucun lien entre acquéreurs et titulaire du marché de travaux. Les partenaires ont momentanément un même client ou un intérêt commun à s’associer.
  3. L’engagement, les ressources et le résultat. Le titulaire d’un contrat a une obligation de moyens ou de résultat. Les partenaires mettent en commun leur ressources, sans y être obligés.  
  4. La rémunération. Elle est acquise et clairement établie dans un contrat, sous réserve de l’honorer. Celle du partenariat est imprécise et conditionnée à un succès incertain.  
  5. Gestion de la relation : Le contrat définit précisément les modalités relationnelles. La relation partenariale est moins formalisée et organisée. 

La dynamique partenariale vient compenser l'incertitude situationnelle par une souplesse relationnelle : la liberté des partenaires à réviser les bénéfices espérés, corriger les ressources affectées, prolonger l’investissement fondent l’habileté de l’association à répondre à la cible commune en s’adaptant à tout moment. L’avantage d’être partenaire est garanti par la confiance de chaque membre envers les autres du maintien de son intérêt particulier, même quand ce dernier est menacé par un changement inattendu de contexte. Chaque entreprise partenaire donne à son représentant la confiance nécessaire pour l’engager en son nom, et lui permet de disposer de la liberté de décider, d’agir, et, par conséquent, de s’engager vis à vis des autres membres du partenariat. 

Revenons au contrat : lorsque l’on sort du cadre de ce que prévoit le marché (dépassement des coûts, du délai, mauvaise exécution, retard de paiement), les pièces écrites permettent de déterminer qui a raison, qui doit quoi et obliger le contractant à obtempérer. L'incertitude situationnelle est ici résolue par une acceptation anticipée des signataires du marché de ce qui sera fait face à telle hypothétique complication. Peu d'initiatives sont laissées aux personnes responsables de l’exécution du contrat, dont le contenu est planté d’arbres de décisions où fleurissent les instructions conditionnelles du type “si...alors”, qui sécurisent et régulent la relation.

Par exemple : le prix global et forfaitaire rémunère le titulaire pour un ensemble de prestations, indépendamment des quantités mises en œuvre pour leur réalisation. 

L'entreprise titulaire rencontre une difficulté imprévisible lors du chantier ? Elle doit couler plus de béton ? Certaines pièces écrites ou plans sont ambigus et ont conduit l'entreprise à se tromper sur le nombre de prises électriques ? (Si...). C'est son problème, elle ne pourra renégocier son prix ultérieurement (...alors) et une préséance astucieuse des pièces à son contrat viendra éteindre toute interprétation et éliminer tout risque de discussion : le contrat vient suppléer à la faillibilité humaine à régler des situations difficiles. 

Pourtant, la réalité du terrain n'est pas aussi simple que ce que le foisonnement juridique du contrat promet :  

  1. Suite à cette dépense imprévue, le titulaire aura tendance à se rattraper sur le restant des travaux pour maintenir son intérêt (de mille et une manières). Le risque d’imperfections ou de retard augmentera, le MOA amplifiera les contrôles afin de s'assurer du maintien de la qualité du travail exécuté. Mieux vaut que le MOA n’ait pas d’adaptations à son projet, car il les paiera cher. 
  2. L'entreprise peut tout simplement menacer le MOA de quitter le chantier en cours si le problème n'est pas immédiatement réglé à ses conditions. À ce moment-là, le MOA est vulnérable et n'a pas beaucoup de solution : soit il trouve une autre entreprise au plus vite, qui lui coûtera inévitablement plus cher, sans parler des problèmes de responsabilités d'un même ouvrage exécuté par deux intervenants différents, soit il accepte les nouvelles conditions. 

Ces cas révèlent la difficulté de régler un différend malgré des modalités relationnelles préprogrammées. Ils sont de moins en moins exceptionnels, notamment parce qu’un marché de travaux est un engagement de plusieurs mois, et que des événements inattendus peuvent contrarier le déroulement envisagé par l'entreprise et le MOA entre le moment où ils signent et la livraison de l'ouvrage. L'instabilité du contexte actuel (augmentation des coûts suite aux adaptations dues au COVID-19, visibilité réduite) fragilise la capacité des parties à tenir ces engagements dans la durée, ce qui ne les empêchera pas de signer des marchés ‘les yeux fermés’ afin de maintenir leur activité. En cas de transgression, il y a bien sûr le droit. Mais le traitement juridique d’un désaccord est si long que le coût devient exorbitant pour les parties. Solution qui s'avère souvent peu compétitive.

Il ne s'agit pas de démolir la pertinence du contrat, performant dans de nombreuses situations et nécessaire à l’organisation de la relation. Mais il ne couvre pas tout et déclenche parfois des réactions contre-productives. Imaginons maintenant qu'une dynamique partenariale vienne stimuler la relation contractuelle, et que l'intérêt de chacune des parties au contrat devienne un intérêt commun à ces parties, qu'il convient de préserver. Le contrat n'est alors plus la fin de la discussion, mais au contraire le début du dialogue. Ce nouveau cadre permettrait non seulement de régler plus qualitativement les différends d’un chantier, mais par la vertu relationnelle ainsi créée, il pourrait se prolonger au-delà et, pourquoi pas, atténuer la distribution inégale des bénéfices des parties prenantes pendant les cycles longs qui caractérisent l'immobilier et l'industrie de la construction, où l’euphorie des uns n'est pas celle des autres.

Prenons un exemple, auquel beaucoup de MOA professionnels et non publics songent, mais le mettent rarement en oeuvre (il y en a…). En période faste, les programmes immobiliers sont nombreux, et les appels d’offres de travaux sont régulièrement infructueux : faute de candidat (pas assez d’entreprises pour répondre à la demande), ou lorsqu’il y en a, les prix augmentent sans que cela n’ait été prévu dans le bilan financier du MOA (en un an, on a vu les prix augmenter de 15% pour certains lots, notamment gros oeuvre et lots techniques). A contrario, pendant les périodes de crises, les projets sont peu nombreux, les entreprises se battent et les prix baissent. S’il a des projets, le MOA peut se frotter les mains, un temps seulement, car certaines entreprises connaissent des difficultés jusqu’à la défaillance. Imaginons un partenariat, qui viendrait envelopper les contrats : le MOA travaille durablement avec quelques entreprises partenaires, sans s’interdire de les renouveler, mais en étant transparent sur ses choix. En période de crise, il n’achètera pas au “moins-disant des mieux-disants”, et tolérera un prix permettant de ne pas mettre son partenaire en difficulté. Par réciprocité, les entreprises partenaires s'engagent à répondre au MOA, même en période tendue, sans augmenter leurs prix de manière inconsidérée. Le bilan sur plusieurs cycles ne peut qu’être positif. Bien entendu, tout cela peut sembler idéaliste : premièrement, l’appréciation du gain se fait sur une période plus longue, ce qui ne le rend pas très saillant aux uns et aux autres et notamment aux dirigeants des entreprises partenaires ; il dépend des personnes en place, qui peuvent être amenées à changer et à être remplacées par d’autres qui ne résisteront pas à l’opportunité de réaliser ponctuellement et rapidement un bénéfice plus élevé. Ainsi l’intérêt commun des partenaires reste fragile, et le réflexe (si je puis l’écrire ainsi) de se servir au mieux tout de suite est élevé. Mais en ces temps de confusion, où les menaces sont sanitaires, économiques, sociales, environnementales, n’est-il pas temps d’introduire dans la relation contractuelle une logique d’intérêt commun, qui n’est d’ailleurs pas automatiquement concurrente de l’intérêt particulier ? 

Lionel Jacob-Prat
jacoblionel@gmail.com
LinkedIn https://www.linkedin.com/in/lionel-jacob-prat

 


Télécharger la Lettre de XMP-Consult n°9 (octobre 2020) en .PDF




1 Commentaire

Bruno DELEZENNE (Mines Paristech 1977)
Il y a 3 ans
Merci Lionel, cela ouvre des horizons de relations gagnant - gagnant.
Cela m'évoque le Breakthrough Project Management, inspiré de la Chaine Critique de Goldratt : les alliances projet pour maximiser l'engagement et la valeur pour toutes les parties.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire. Connectez-vous.