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Le partenariat, une illusion ?

12 octobre 2020 La lettre de XMP-Consult
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« La loi du plus fort est toujours la meilleure. »
« Les vents me sont moins qu'à vous redoutables. Je plie, et ne romps pas. »
Jean de la Fontaine

 

Le partenariat est assurément une belle et généreuse idée. J’en ai souvent entendu parler lors de mon parcours professionnel mais, avec le temps, c’est surtout l’insatisfaction, les désillusions et les regrets qui s’imposent à mon souvenir. Tout se passe comme si nous voulions croire, avec tout le sérieux et les études nécessaires, à la possibilité de créer un accord réciproque et durable par lequel chaque entité contribuerait à un effort commun. L’idée sous-jacente qui soutient cet espoir me semble résider dans le fait de penser que les conditions dans lesquelles de tels accords peuvent se concevoir sont immuables.

Une rationalité atemporelle.

Lorsque l’on échange un bien ou un service contre un montant financier, on le fait à un moment déterminé. Les prix du marché évoluent et sont les résultantes d’une grande quantité de facteurs qu’il n’est pas toujours aisé de prévoir avec exactitude. Je me suis un jour demandé si le fait que nous ne pouvions pas prévoir l’avenir autrement que par un ensemble de calculs de probabilité associé à un souci de rationalité reposant sur des mesures et des calculs rigoureux ne nous a pas amenés à isoler le moment de l’échange – celui dans lequel il est possible de raisonner – du cours de l’évolution du monde qui demeure insaisissable dans sa globalité. Et comme, à moins d’être doté d’une solide personnalité doublée d’une non moins solide expérience, il est rassurant d’être rationnel dans le monde des affaires, si ce n'est de le paraître, la tentation doit être grande de se limiter à ce qui nous offre quelques certitudes démontrables. Nous raisonnons alors « toutes choses égales par ailleurs » dans une sorte d’instantané coupé du devenir de l’humanité. Pour donner du poids à cet univers figé, un historien américain avait même tenté de défendre l’idée que l’Histoire était arrivée à son terme[1].

Dans le cas particulier des partenariats on peut rapidement observer les effets du temps. Imaginons que les dirigeants d’une entreprise ayant contracté un partenariat soient renouvelés, ils peuvent très bien décider d’une nouvelle stratégie, et dans ce cas les défenseurs des accords passés qui s’avéreraient incompatibles avec cette nouvelle orientation auraient quelques difficultés à s’y opposer. L’apparition de nouveaux concurrents disposant de produits plus performants et d’une dynamique commerciale plus propice peut également modifier les raisons initiales et les intérêts des parties prenantes. Chaque entreprise se développant en effet dans le cadre d’une règle du jeu précise, celle du libéralisme économique, ce qui l’oblige à surveiller de près ses équilibres financiers et lui interdit d’y déroger sans se mettre rapidement en difficulté.

Par ailleurs, la cohérence d’une entreprise est verticale : si une décision est prise, les lois qui régissent le Droit des Affaires – les structure juridique des différents types de sociétés – et le Droit du Travail – la subordination du salarié – imposent cette décision à ceux qui y participent. Le partenariat est en revanche un accord qui se veut horizontal, ce qui créée de facto, pour les domaines concernés, un double centre de décision, une double légitimité. A des étudiants qui me demandaient de leur donner un exemple concret d’une situation complexe en entreprise, je leur ai suggéré d’imaginer comment fonctionnerait un service à qui on aurait confié la responsabilité, non pas à un mais à deux manageurs distincts, et également légitimes. Pour les mêmes raisons, il est probable que l’on observe des effets analogues lors d’opérations menées sous la direction de deux entités économiques distinctes disposant chacune d’un pouvoir de décision équivalent. À moins que l’un des partenaires absorbe l’autre ou le réduise à la position de sous-traitant, et puisse ainsi lui imposer sa volonté.

Le calcul ? Ou le pari de l’entrepreneur ?

Cela dit, on peut également considérer que la volonté humaine puisse décider de ne pas suivre aveuglément la seule règle du retour sur investissement. Jean Pierre Dupuy[2], dont les analyses sont souvent pertinentes et originales, différenciait ainsi les approches anglaises et françaises de l’économie. Pour les premiers c’est l’intérêt à court terme qui prime et inspire les décisions économiques alors que pour les seconds c’est la confiance en autrui qui prévaut et guide les décisions. Il illustrait ces deux logiques contradictoires en rappelant le raisonnement que fit Jean-Jacques Rousseau qui opposait de façon métaphorique la chasse au lièvre à la chasse au cerf. Pour chasser le lièvre, imaginons que nous puissions le faire seul : avec un peu d’astuce et de persévérance on survit, plus ou moins bien. En revanche, pour chasser le cerf, imaginons qu’il faille être au moins deux, l’un servant de rabatteur à l’autre. C’est ici qu’intervient la nécessaire confiance entre les partenaires. Admettons que nos deux chasseurs aient passé un contrat de partenariat pour chasser le cerf en bonne et due forme, qu’ils en aient repéré un et le poursuivent depuis l’aube. Ils sont fatigués, le doute peut traverser leur esprit ; le temps passant, ils peuvent commencer à s’inquiéter car ils n’oublient pas qu’ils chassent pour nourrir leur famille. Chacun peut se demander si l’autre ne serait pas tenté de détourner son attention du cerf si d’aventure un lièvre lui passe devant le nez. Or si son partenaire abandonne la course au cerf pour attraper le lièvre et assurer au moins la survie de sa famille, il risque, lui, de mourir de faim car, n’ayant plus de rabatteur, le cerf sera alors hors de sa portée et il n’aura plus le temps de se trouver un lièvre. Pour que la course au cerf fonctionne, il est nécessaire que chacun de deux partenaires ait une confiance absolue en l’autre. Si le moindre doute s’immisce dans l’esprit de l’un d’entre eux, par exemple si je crains que l’autre ne me fasse pas confiance, je vais perdre ma propre confiance en lui, ou si j’imagine qu’il craigne que moi-même je ne lui fasse pas confiance etc. En bon mathématicien, Jean-Pierre Dupuy en conclut que la solution se trouve à l’infini : la confiance doit être totale. C’est cela, selon lui, la logique de l’économie à la française. Elle nous permettrait, si nous la suivions, d’accéder aux plus grandes richesses.

Pourquoi pas ? Cette perspective est certes tentante, mais ne serait-elle qu’une source d’illusions ? Ou au contraire la promesse d’une vie autrement plus riche ? Si l’on pense à la logique de l’entrepreneur, non celui qui optimise la valeur de son entreprise, mais celui qui prend des risques réels pour atteindre de nouvelles possibilités à lui seul accessibles, on pourrait le croire.

Finalement j’en conclus que le fait de décider où doivent l’emmener ses pas est l’affaire de chacun et non une question de rationalité économique.

Dominique Fauconnier
dom.fauconnier@orange.fr

 

[1] La fin de l’histoire et le dernier homme, Francis Fukuyama, Flammarion Champs essai, 2018 (première édition 1992).
[2] Polytechnicien et philosophe, auteur notamment auteur de Pour un catastrophisme éclairé, Seuil, 2002 et de L’avenir de l’économie, Champs Flammarion, 2014.

 


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