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Aggiornamento pour le nucléaire

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Conseil en stratégie de la première génération, j’ai préparé des décisions dans beaucoup de secteurs dont celui de l’énergie[1] et je travaille actuellement à développer un nouveau domaine, celui de l’organisation décisionnelle.

Le secteur de la production électrique m’intéresse particulièrement parce qu’en profonde mutation et bien documenté. D’un côté beaucoup de contraintes étatiques, réglementaires et sociétales portant sur des modes de production matures, de l’autre beaucoup d’innovations en matière de production, distribution et commercialisation.

Ce secteur a été marqué en 2010 par la fermeture de la centrale de surgénération Phénix qui a retiré toute cohérence au développement de la filière nucléaire sur les plans économique et écologique. La France n’a pas su en tirer les conséquences, au contraire de l’Allemagne qui l’a fait un peu plus d’un an plus tard[2] à l’occasion de la vague d’émotion suscitée par l’accident de Fukushima.

Non compétitif

Avec un coup moyen par GW installé annoncé à 2 milliards d’€ et égal au coût moyen des 58 centrales nucléaires de la génération précédente[3], le réacteur de Flamanville n’était pas annoncé comme plus compétitif. Il semblerait, de surcroit que ce coût finisse à plus de 6 fois les prévisions initiales, conduisant à un coût du MWh supérieur aux 110€/MWh garantis pour le contrat de Hinkley Point vendu au gouvernement britannique. Quelles que soient les dénégations des promoteurs de cette filière annonçant une baisse drastique des coûts par effet de série des ventes futures, la tendance est à la hausse.

Si alors que la productivité augmente régulièrement, l’EPR est plus cher que la génération précédente à Euro constant, cela montre que la qualité a été augmentée et que :

  • Les premières centrales étaient insuffisamment sûres. (On l’a échappé belle !)
  • L’environnement social, mêlant prise de conscience des populations des risques techniques et terroristes, ne leur est pas favorable. (Une technologie est au service des populations et non l’inverse !).

Pendant ce temps d’autres filières font leurs preuves, dont celle photovoltaïque avec des coûts déjà inférieurs à 30 €/MWh sur une grande partie du sous-continent européen et en baisse rapide comme le montre l’effet d’expérience sur les coûts du photovoltaïque du graphique ci-dessous[4].

Insincère voire hypocrite

En omettant plus de la moitié des 228 milliards d'euros investis depuis les années 1950 en France[5], les coûts du nucléaire sont insincères depuis les débuts de la filière.

Ces surcouts comprennent des subventions directes et indirectes, les coûts de sureté de l’accès aux installations, l’impact sur la santé et l’écologie, l’assurance en dernier recours en cas d’accident affectant les populations… et ne prennent pas en compte les provisions insuffisantes pour les démantèlements y compris celle de la Hague (qui n’est pas du tout pris en compte). Si ce dont le projet EPR a bénéficié et bénéficie est difficile à évaluer, il reste que ce ne doit pas être négligeable.

Beaucoup d’autres coûts n’apparaissent pas du fait de la pirouette comptable (légale !) consistant à les reporter sur les générations futures :

  • Traitements des déchets de moyenne et longue durés qui au lieu d’être transmutés sont stockés, reportant leur poids technique et psychologique sur les 500 générations futures.
  • Empreinte carbone non négligeable liée à la construction des centrales et surconsommation électrique liée à des prix subventionnés[6].

Certains pollueurs ne sont pas les payeurs !

Disponibilité contestée 

A long terme, le délai de mise à disposition des centrales EPR se situe entre 10 ans (annoncé) et plus de 20 ans (Flamanville et Olkiluoto en Finlande)[7], compte tenu du temps nécessaire aux consultations des populations locales, à l’ingénierie du projet puis à sa construction. L’emprise devient indisponible pour un siècle au moins avec des bâtiments dominant l’environnement à plus de 120m et visibles sur une surface de 5,000 km², sans compter le panache et les lignes haute-tension.

A l’échelle de l’année, le nucléaire fait preuve d’une disponibilité modérée[8] avec des pertes de puissances notables en hiver et en été, lors des pics de consommation (chauffage et air conditionné). Ces pertes de disponibilité sont compensées par la production de centrales à gaz (l’hydraulique est peu disponible l’été) et contribuent à accroitre l’empreinte carbone liée à cette filière.

Le dernier avantage restant à l’énergie nucléaire, sa disponibilité à l’échelle de la journée, est en passe de disparaître avec les progrès des moyens de lissage de la production :

  • Stockage que ce soit thermique, sous pression, chimique (H2) ou électrochimique.
  • Mutualisation géographique des productions à des échelles toujours plus vaste. Ainsi la production diurne au Texas pourrait être mise à disposition de la consommation nocturne européenne grâce à un transport par câble transocéanique.
  • Captation de sources naturelles d’H2 …

L’ensemble de ces nouveaux moyens forment une grappe dynamique comme le montre la courbe d’expérience suivie par les batteries Lithium-ion sur le graphique ci-dessous[9].

Indépendance énergétique 

La filière nucléaire n’est pas la meilleure voie pour une indépendance énergétique. Au niveau national et européen, l’enjeu géopolitique soulevé est plutôt celui qui regroupe la cohésion :

  • nationale : comment l’entretenir avec des décisions prises au plus haut niveau s’appuyant sur des moyens aussi insincères, obsolètes et irresponsables ?
  • économique : comment justifier de tels engagements de nos ressources et compétences sur un tel pari sans espérance porteuse ? EdF devrait se déclarer en faillite si l’on réintègre dans ses comptes les coûts que cette société n’assume pas ; le plan Hercule[10] suffira-t-il à sauver l’entreprise et sera-t-il suivi d’un revirement de l’Etat sur la question nucléaire ?
  • internationale : comment supporter longtemps la pression des états limitrophes de l’espace européen exposés aux risques d’accidents de nos centrales ?
  • intergénérationnelle : comment faire accepter aux générations suivantes et à celles qui leur succéderont le poids de notre gabegie ?

A cela s’ajoute la question de l’indépendance politique au sens le plus large, nationale et européenne. Les grandes centrales nucléaires fournissent évidemment les cibles idéales aux puissances terroristes (notamment disposant de missiles hypersoniques) contre lesquelles aucune défense ou dissuasion ne serait efficace[11]. Quelle capacité décisionnelle avec une telle fragilité ?

Conclusions

Dans cette perspective d’énergie qui n’est rare que par sa qualité, le nucléaire n’est pas le mieux disant. Cette filière se trouve dans une impasse et la seule voie réaliste qui puisse lui être proposée est une sortie graduée excluant, bien entendu, toute nouvelle centrale ainsi que prévoyant le traitement définitif des déchets à l’échéance de la génération qui en est la cause.

La question est éthique, celle de l’égoïsme d’une filière aux dépends du reste de l’économie, des génération futures et de nos partenaires européens. Elle est morale, celle d’individus agissant sur ordre incohérent par une forme d’irresponsabilité au sens de Hans Jonas.

Raoul de Saint Venant (X-73)

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[1] Avec sept publications dans la Jaune et la Rouge.

[2] Sans se laisser impressionner par le projet Astrid (filière Sodium différente de celle EPR) abandonné en 2019 ; même le CEA ne croit plus à l’avenir de l’énergie nucléaire !

[3] Source : Organisation Mondiale Pour la Protection de l’Environnement (ONPE) ; l’ONPE est une ONG fondée par un écologiste et homme d’affaires français.

[4] La vitesse et les perspectives de baisses des coûts à l’avenir sont sous-estimées par ce graphique ; il ne prend pas en compte des technologies futures (notamment les cellules à pérovskite) à impact écologique encore plus faible et à consommation de terres rares minimes.

[5] 96 milliards dans les réacteurs nucléaires et 55 milliards dans la recherche et le développement. Source : Cours des comptes 2012.

[6] L’empreinte carbone du nucléaire est sujette à débat (15 à 288 gr CO2 par kWh). Une méta-analyse réalisée par Benjamin K. Sovacool (University de Singapour) et publiée par Energy Policy le 02/06/2008 et reprise (pendant plusieurs années !) par l’ADEME propose 66 gr.

[7] C’est ce délai que tente de réduire Bill Gates avec ses minicentrales Natrium utilisant une technologie dite à sodium, probablement un peu plus sûre mais pas moins chère.

[8] 71,9% en 2019 sur l’ensemble du parc français (source RTE)

[9] Analyse de l’auteur à partir des volumes USGS et prix -BNEF

[10] Nouvellement appelé projet « grand EdF ». Le plan Hercule prévoit de nationaliser la production d’électricité d’origine nucléaire et hydraulique.

[11] La présence d’un peloton de gendarmes et l’installation d’une batterie de missiles sol-air est une protection dérisoire 


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