De l’innovation durable, une bonne boussole, un bon cap… Interview de Nicolas Soubelet, fondateur de Ma Bonne Etoile

Après 12 ans d’expérience industrielle au sein du Groupe PSA Peugeot Citroën, Nicolas Soubelet s’est lancé en 2014 avec son épouse dans l’entrepreneuriat en créant la société Ma Bonne Etoile, qui conçoit et commercialise des gourdes souples réutilisables pour produits alimentaires (compotes, purées, smoothies…). Il assume aussi des fonctions de consultant en stratégie et impact, et un rôle de mentor, notamment au sein de l’Accélérateur ESS d'HEC Paris (accompagnement des entrepreneurs de l'Economie Sociale et Solidaire).

Nicolas, peux-tu présenter ton entreprise en deux mots ?

Ma Bonne Etoile révolutionne l'alimentation nomade en concevant des contenants réutilisables qui allient praticité et responsabilité environnementale. Nos marques Squiz et Fillgood transforment le quotidien des familles avec des gourdes souples, des sacs à goûter et des accessoires innovants qui éliminent les déchets jetables sans compromis sur la fonctionnalité.

Après trois ans de résultats mitigés, l’entreprise voit son chiffre d’affaires quasiment doubler sur 2025 et approcher ses niveaux d’avant COVID, avec en particulier l’ouverture de nouveaux débouchés et des projets de croissance externe qui font sens.

Comment l'idée vous est-elle venue de vous engager, toi et ton épouse, dans l'entreprenariat « éthique » ?

Pour nous, l'entrepreneuriat éthique n'était pas un plus mais un prérequis. Dès la conception de Ma Bonne Etoile, nous nous sommes demandé : pourquoi créer une entreprise qui ne serait pas alignée avec nos valeurs ? Intégrer l'éthique dès la genèse s'avère infiniment plus cohérent et efficace que de tenter des corrections a posteriori. C'est cette vision holistique qui nous guide depuis le premier jour : créer de la valeur économique tout en ayant un impact positif sur la société et l'environnement.

Quelles sont pour toi les raisons du succès de votre entreprise ?

Notre succès repose sur trois piliers fondamentaux :

• D'abord, une écoute active permanente de nos parties prenantes - particuliers comme professionnels - qui nous permet d'anticiper leurs besoins réels.
• Ensuite, une transparence totale sur nos pratiques, nos choix et même nos difficultés, qui crée une relation de confiance authentique.
• Enfin, notre stratégie de diversification des canaux de distribution qui nous assure une résilience face aux aléas du marché tout en touchant différents segments de consommateurs.

Quelles sont les principales difficultés que vous avez dû résoudre (accès au financement, débouchés, notoriété) et comment les avez-vous surmontées ?

Les crises conjoncturelles récentes - pandémie, inflation liée au conflit ukrainien - ont représenté notre principal défi. Nous avons vu notre écosystème de distributeurs spécialisés fragilisé, avec des fermetures de magasins partenaires qui ont directement impacté notre chiffre d'affaires.

Notre réponse a été triple : optimisation organisationnelle avec une équipe resserrée mais plus polyvalente, réallocation budgétaire privilégiant l'essentiel, et diversification accélérée de nos canaux de vente. Cette adaptation, bien que douloureuse - notamment pour notre visibilité marketing - nous a rendus plus agiles et résilients. L'équilibre reste fragile, mais nous avons appris à naviguer dans l'incertitude sans perdre notre cap éthique.

Quelles sont au fond les qualités ou les comportements qui rendent les dirigeants pertinents pour continuer d'agir, de décider, d'embarquer leurs équipes malgré les incertitudes ?

Le dirigeant d'aujourd'hui doit maîtriser une équation complexe que résume parfaitement le modèle du "doughnut" de Kate Raworth : opérer entre un plancher social à respecter et un plafond planétaire à ne pas dépasser. Cette vision systémique, encore minoritaire hier, devient indispensable.

Concrètement, cela implique de fédérer ses équipes autour d'une raison d'être claire et inspirante, qui dépasse la seule performance financière. Il faut aussi cultiver des valeurs de respect du Vivant qui se traduisent dans chaque décision opérationnelle. Enfin, maintenir une capacité d'adaptation constante tout en gardant le cap de long terme - un exercice d'équilibriste permanent mais passionnant.

Quelle importance revêt pour vous la certification BCorp ? Pourquoi la préférez-vous à d'autres certifications ?

La certification BCorp est centrale dans notre identité car elle embrasse la complexité de notre mission. Contrairement aux certifications sectorielles, elle évalue simultanément le "pourquoi" - notre raison d'être - et le "comment" - nos pratiques concrètes. Cette approche holistique couvre autant l'impact environnemental que social, avec des standards internationaux exigeants.

Ce qui nous séduit particulièrement, c'est aussi sa capacité d'évolution : BCorp se remet régulièrement en question pour hausser ses exigences. Et au-delà de la certification, c'est une communauté d'entrepreneurs engagés qui partagent défis et solutions. C'est un écosystème de transformation, pas seulement un label.

Quels conseils donnerais-tu à des personnes, jeunes ou moins jeunes, qui envisagent de se lancer dans une activité conforme à leurs principes ? Dans quels domaines devraient-ils investir ?

La question essentielle est : pourquoi vous lancez-vous ? Si c'est pour transformer les pratiques de votre secteur, préparez-vous à un parcours exigeant mais enthousiasmant.

L'entrepreneuriat éthique implique des coûts supplémentaires à tous les niveaux - R&D responsable, sourcing éthique, communication pédagogique - et une concurrence souvent déloyale. Prenez l'exemple de la mode : importer de la fast fashion reste facile et rentable quand on externalise les coûts sociaux et environnementaux. À l'inverse, produire localement en respectant toutes les normes coûte plus cher car vous internalisez ces externalités.

Mon conseil : choisissez un secteur où vous pouvez créer une véritable différenciation par l'innovation durable. Les consommateurs sont de plus en plus sensibles à ces enjeux, même si l'évolution des habitudes prend du temps. Le législateur nous aide progressivement, mais ne l'attendez pas pour agir.

On constate actuellement un « backlash » sur les questions de responsabilité environnementale et sociétale, émanant de certaines organisations patronales et de certains hommes ou femmes politiques. Quel message souhaiterais-tu leur envoyer ?

La myopie court-termiste est un luxe que nous ne pouvons plus nous offrir. À quoi sert de maximiser les profits sur une planète devenue invivable ? Nous avons tous une responsabilité à notre échelle, et l'histoire jugera nos choix d'aujourd'hui.

Paradoxalement, au lieu de regarder vers des modèles parfois régressifs, observons les efforts considérables de pays comme la Chine qui investissent massivement dans la transition énergétique avec des résultats déjà tangibles.

L'innovation verte n'est pas une contrainte mais un formidable levier de compétitivité future. Le réveil, s'il est trop tardif, sera brutal. Anticipons plutôt que subir : c'est aussi cela, l'intelligence économique.

Dans ta pratique professionnelle, as-tu déjà eu recours à des consultants extérieurs ? Si oui dans quel(s) domaine(s) et que retires-tu de cette expérience ? Si non, quels seraient les domaines pour lesquels cela pourrait être nécessaire dans l'avenir ?

Absolument, et c'est devenu stratégique dans notre développement. Je fais systématiquement appel à des experts pointus : gestion des risques et assurances, stratégie digitale (réseaux sociaux, e-commerce, SEO/SEA), où l'expertise spécialisée apporte une valeur incomparable.

Cette approche me permet de me concentrer sur mon cœur de métier tout en bénéficiant des meilleures pratiques sectorielles. D'ailleurs, j'ai étendu cette logique en dirigeant également un cabinet de conseil spécialisé dans la transition écologique et la stratégie IA appliquée aux RH - des domaines désormais incontournables pour toute entreprise visionnaire.

Le retour d'expérience est clair : bien choisir ses partenaires experts accélère considérablement la montée en compétences et l'innovation.

Merci Nicolas pour ce témoignage très fort qui montre qu’on peut réussir, même dans un monde complexe et imprévisible, en choisissant une boussole adaptée à ce monde en transition, et en gardant le cap. Ces éléments donneront à réfléchir et inspireront peut-être certains lecteurs à se lancer à leur tour dans un projet d’entreprise innovant et éthique – et peut-être à faire appel au service mission de XMP-Consult.

Propos recueillis par Antoine Jaulmes