Le lobbying contribue à rendre l’avenir moins incertain

Alain Heidelberger est lobbyiste et expert en environnement industriel. Il lève ici le voile sur le métier de lobbyiste, un métier qui participe à la gouvernance démocratique au même titre que les associations ou les militants qu’il représente, mais qui est parfois confronté à la représentation d’intérêts particuliers...

L’entreprise qui ne surveille pas l’évolution de loi s’expose à davantage d’incertitude

Tous les jours se discute ou se décide, quelque part dans le monde, une loi, une convention internationale, une directive, une norme, qui touche la vie des citoyens et des entreprises.

Nouvelles taxes pour votre secteur, valeurs limite de rejets renforcées pour votre industrie, exclusion de votre activité des financements verts, interdiction d‘exporter vos produits : autant de nouveautés règlementaires susceptibles de remettre en question vos investissements, votre compétitivité, votre modèle économique, voire la survie de votre entreprise.

Malgré cela, de nombreux dirigeants ne participent pas à l’élaboration de la loi, par scepticisme quant à la démarche ou par manque de temps.

Et pourtant …

Le législateur est accessible

Rien n’interdit de lui demander un rendez-vous, de le rencontrer. Pour parler de quoi ? Des particularités de chacun. Le visiteur expose les spécificités techniques, économiques et déontologiques de son activité. Le législateur est preneur d’informations précises et fiables, car elles lui sont nécessaires pour statuer en meilleure connaissance de cause le jour venu.

A son tour, il partage ses objectifs, ses projets, sa vision, sa feuille de route, ses contraintes, ses points durs. Il donne ainsi un aperçu direct sur les marges de manœuvre du pouvoir et sur les forces en présence. Ce sont des informations essentielles pour le dirigeant car elles l’amènent à réexaminer ses postulats, ses pratiques, à s’adapter, à préparer l’avenir avec plus de justesse.

Atténuer un projet de texte pénalisant

Lorsqu’on découvre un point pénalisant dans un projet de texte, pourquoi ne pas proposer une version atténuée, claire et motivée, qui tienne compte à la fois de ses intérêts et des contraintes du législateur ?

Favoriser sa vision du métier

Il vous est également possible de proposer un nouvel article qui, en cas d’adoption, apporte un soutien réglementaire à votre vision entrepreneuriale, à vos projets. Vous disposez alors d’un avantage considérable car votre vision devient la loi.

En procédant de la sorte, l’acteur économique (ou le citoyen) augmente les chances de faire prévaloir sa vision, sa technologie, etc. sur le terrain. Si de plus il veille activement à ce que « son » article se maintienne durablement à travers l’évolution des textes, il renforce la stabilité de la réglementation qui le concerne. Il se trouve alors dans situation moins incertaine, plus sereine pour investir et se développer.

Quel profil rechercher pour faire du lobbying éthique ?

Il ne peut y avoir de lobbying éthique sans vision éthique, quel que soit le profil du lobbyiste. Pour que le lobbying d’une entreprise industrielle soit éthique du point de vue environnemental, celle-ci doit être activement engagée dans la transition environnementale ou au minimum sincèrement désireuse de s’y engager. Non par obligation, mais parce qu’elle est profondément convaincue que c’est la meilleure (la seule ?) voie viable et que cela lui apportera un avantage compétitif de premier plan. Voici quelques thèmes (la liste est infinie…) qui peuvent être l’objet d’un lobbying éthique :

• Faire interdire tel ou tel polluant éternel actuellement présent dans notre alimentation
• Redonner à l’éducation nationale les moyens qui lui font défaut
• Favoriser le procédé plus durable de stockage de l’électricité que vous venez de mettre au point
• Favoriser votre procédé dix fois moins gourmand en énergie de dépollution des eaux usées.

D’autre part, pour ceux qui envisagent de recourir à un lobbyiste professionnel, il convient de privilégier quelqu’un 1) ayant le goût de défendre l’intérêt général 2) désireux et capable d’établir des relations de confiance sur la durée avec les pouvoirs publics. Car le lobbying éthique est une course de longue haleine.

Souvenons-nous de ces militants, experts, etc. qui ont réussi à faire adopter des lois pour améliorer la santé publique :

• Le cancérologue Maurice Tubiana et le professeur Albert Hirsch, à l’origine de la loi Évin interdisant le tabac dans les lieux publics ;
• Ou encore le physicien Henri Pézerat, qui a œuvré pour faire interdire l’amiante.

Ces citoyens ont donné de remarquables exemples de lobbying éthique. Ils ont réussi à sensibiliser les pouvoirs publics et ont poursuivi leurs efforts jusqu’à l’adoption de la loi, de ses décrets d’application et de leur mise en œuvre sur le terrain.

Des entreprises éthiques reconnues par le marché

Voici pour terminer le cas d’une association d’entreprises spécialisées dans la dépollution industrielle. Dès leur création, ces start-up ont choisi d’exercer leur activité d’une manière qui protège au mieux la santé et l'environnement (cela semble aller de soi, mais il faut savoir qu’il existe par ailleurs certaines pratiques discutables dans ce secteur). Ensemble, elles ont établi une charte reflétant leur vision éthique du métier. Ensemble, elles militent depuis des années pour que cette vision soit intégrée autant que possible dans la réglementation européenne et internationale. De fait, au fil du temps, les textes relatifs à cette activité ont progressivement incorporé plusieurs principes de la charte de l’association, avec deux conséquences positives. Premièrement le niveau de protection de la santé et de l’environnement s’est trouvé renforcé pour l’ensemble de ce secteur d’activité. D’autre part, les entreprises qui appliquent cette charte dans leur exploitation quotidienne disposent d’un avantage compétitif important. Il est satisfaisant de constater que le marché récompense ces entreprises visionnaires pour leur choix éthique.

Alain Heidelberger