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Entretien avec Benoît Rittaud

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Benoît Rittaud est maître de conférences en mathématiques à Sorbonne Paris Nord et président fondateur de l’association des climatoréalistes. Il est auteur de nombreux ouvrages sur la vulgarisation des mathématiques et le climat. A contrepied du discours ambiant sur l’ampleur de la responsabilité humaine sur le climat, il promeut un climatoréalisme qui « se méfie de l’agitation, de la peur, de la naïveté et de l’affichage de la vertu [….], et s’étonne que le CO2 soit si souvent perçu comme un polluant ».

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Qu'est ce qui selon vous pose le plus de problème dans les modèles climatiques actuels ?

La modélisation en soi n’est pas un problème. En revanche, il faut éviter de confondre les modèles à but descriptif et les modèles utilisés pour faire des pronostics. Les modèles climatiques divergent très vite par rapport aux observations, donc ils ne sont pas adaptés à ce deuxième emploi.

Les flux océaniques, la dynamique de la couverture nuageuse, l’albedo terrestre, la diffusion de la chaleur sont autant de phénomènes complexes où le résultat peut être extrêmement sensible par rapport aux conditions initiales.

La difficulté de prédiction a de nombreuses sources, mais fondamentalement cette nature chaotique pose des grandes difficultés – les fameuses équations de Lorenz, popularisées par l’expression « d’effet papillon ».

Ainsi, la sensibilité climatique, qui est l’augmentation de température qui correspond à un doublement de la concentration de CO2 dans l’atmosphère, se situe dans une fourchette très large – de 1.5°C à 4.5°C (certains allant même jusqu’à 6°C). Cette sensibilité n’a pas varié depuis le rapport Charney de 1979, en dépit de l’augmentation exponentielle de la puissance de calcul depuis lors.

La pandémie a mis en exergue que les vérités scientifiques sont parfois difficiles à établir, et peut être aussi que des dimensions personnelles et sociologiques s’invitent dans ces débats. Cette séquence permettra-t-elle d’éclairer sous un jour plus favorable la question climatique ?

Plutôt, oui. Il est en effet intéressant de voir l’ampleur de la polémique alors que la diffusion d’un virus est a priori beaucoup plus simple que la dynamique du système climatique sur des décennies. Les jeux de données médicales sont considérables, un effort important a naturellement été consacré à la modélisation… et nous avons pu constater qu’elles étaient divergentes et pour certaines très éloignées de la réalité.

L’avantage d’un virus est qu’il offre un apprentissage rapide, du fait que l’on est confronté au réel très vite, ce qui permet de valider ou d’invalider les modèles, et donc de les améliorer. Cette dynamique itérative n’a pas lieu, ou dans des proportions très inférieures, dans le domaine climatique.

Manque-t-il des savoirs et techniques fondamentales aux scientifiques pour appréhender la modélisation de systèmes complexes ?

Avant même la question des savoirs, il s’agit de savoir ce qu’est la science. L’enjeu relève donc plutôt de l’épistémologie. La science est amorale et non prescriptive. Elle n’est pas une éthique qui discrimine le bien du mal, elle cherche à discriminer le vrai du faux.

Comment les scientifiques se distinguent-ils du reste de la population dans leur positionnement sur la question climatique ?

Il est toujours délicat de faire des généralités, mais je dirais qu’ils sont souvent plus intolérants ! Peut être se voient ils en dépositaire du « Savoir » et peut être expriment-ils ainsi une forme de solidarité pour certains de leurs pairs – une sorte de conscience de classe qui se rattache entre autres à des totems institutionnels (diplômes, fonctionnariat…).

A l’inverse, les « non-scientifiques », une fois un premier échange assez conventionnel passé pour rappeler leur intérêt pour l’environnement, sont souvent demandeurs de dialogue et de critiques raisonnées.  

C’est aussi la conséquence de la place de la science dans nos sociétés : la guerre froide a marqué l’avènement d’une science dont l’objet est de servir des politiques (envoyer un homme dans l’espace, sur la Lune…), par opposition à établir de la connaissance. Corollaire : pas de problème à régler, pas besoin de sciences, donc pas de budget.

Les scientifiques craignent-ils d'être ostracisés sur la question du climat?

Plutôt, oui. Mais le réel recouvre des situations assez différentes là encore. Prenons l’exemple de Pascal Richet, du prestigieux Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP), qui s’est vu tout récemment retirer (pour l’instant temporairement) la publication d’un article pourtant accepté dans la revue History of Geo- and Space Sciences[1]. Il ne va pas se laisser faire : question de personnalité certes, mais il y a aussi un contexte - sa notoriété est déjà bien établie.

L’enjeu prend une toute autre dimension pour un thésard ou un jeune chercheur dont la carrière est en pleine construction. Il y a clairement des coups à prendre, et des combats à choisir. Fréquemment, des scientifiques me font part de leur scepticisme… « sous le manteau » !

La sélection et la formation des « élites » sont-elles selon vous en cause – elles sélectionneraient une certaine docilité intellectuelle et une aversion au risque ? Cette hypothèse a été avancée pour déplorer le faible intérêt pour l’entreprenariat des élèves issus des grandes écoles et elle pourrait se décliner sur le champ de l’indépendance d’esprit.

Globalement la science et les savoirs progressent donc le système, pour imparfait qu’il soit, produit de la valeur. Il ne s’agit donc pas de renverser la table.

Il faut ne faut pas nécessairement chercher la cause de ce phénomène chez les scientifiques eux-mêmes dans la mesure où ceux-ci sont le reflet de la société dans son ensemble: l’Occident est dans un état d’esprit post-moderne où les scientifiques constituent un nouveau clergé, lequel fait cohabiter des velléités de toute-puissance avec des sentiments de culpabilité et d’indignité rattachés à la puissance.

Il est à espérer que les ingénieurs, dont les théories sont inévitablement sanctionnées par le réel, contribuent davantage à diffuser des méthodes et un état d’esprit salutaire face aux défis auxquels la société est confrontée, du quidam au décideur en passant par le scientifique lui-même.

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[1] L’article climatoréaliste a pour titre éloquent « The temperature-CO2 climate connection: an epistemological reappraisal of ice-core messages ». 


Télécharger la Lettre de XMP-Consult n°12 (juillet 2021) en .PDF



1 Commentaire

Antoine JAULMES (Mines Paristech 1978)
Il y a 2 ans
Interpellé par la critique de Benoît Rittaud à l'encontre des modèles climatiques, j'ai cherché des articles mettant en évidence les difficultés de ces modèles quant à leurs prévisions. Je vous livre la traduction de la conclusion de cet article* qui passe en revue les écarts entre la réalité et les principales modélisations sur la période 2000-2020 : « Les modèles sont loin d'être parfaits et continueront d'être améliorés au fil du temps. Ils montrent également une fourchette assez large de réchauffement futur qu'il n'est pas facile de réduire en utilisant uniquement les changements climatiques que nous avons observés dans le passé. Néanmoins, l'étroite correspondance entre le réchauffement projeté et le réchauffement observé depuis 1970 suggère que les estimations du réchauffement futur pourraient s'avérer tout aussi précises. »
Etant donné que les conséquences irrémédiables d'un excès d'optimisme climatique, s'il s'avérait erroné, sont sans commune mesure avec les conséquences d'un excès de pessimisme, il faut bien entendu adopter une posture de pessimisme actif propre à ceux qui gèrent des risques dans le cadre de projets d'ingénierie par exemple, comme nous y sommes d'ailleurs invités par l'auteur. En résumé, il n'est donc pas possible de relativiser le risque climatique simplement au titre des imprécisions imputables aux modèles de prévision.
*https://www.carbonbrief.org/analysis-how-well-have-climate-models-projected-global-warming

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