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Les alliances stratégiques dans l'automobile, l'exemple de Renault

12 octobre 2020 La lettre de XMP-Consult
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La Covid-19 a bouleversé le contexte industriel mondial et beaucoup d’entreprises s'interrogent sur leur stratégie à venir pour rebondir. La construction d'une alliance stratégique internationale est alors une voie intéressante car elle offre la possibilité de réunir les compétences, les capacités et les ressources de deux entreprises et d’étendre leur potentiel. Les bénéfices peuvent être multiples tels que l’accès à de nouveaux marchés, le développement à l'international, la maîtrise de nouvelles technologies, la réduction des coûts, l’augmentation du chiffre d’affaires.

Une alliance est une opération qui nécessite une préparation rigoureuse, elle demande un savoir-faire et peut difficilement faire l'économie d’une certaine expérience. Si elle offre des opportunités de croissance elle présente aussi des risques car le partenaire est souvent un concurrent : risque pour chacun de se faire voler son savoir-faire et/ou risque pour sa pérennité si l'autre partenaire se montre opportuniste et l'utilise pour son propre profit.

AMC : l'aventure américaine (1979 - 1987).

Après son premier échec dans les années 1960, Renault entreprit en 1979 une reconquête du marché US. Il prit une participation dans AMC, le 4ème constructeur américain, qui n'a pas alors la capacité de développer de nouveaux produits.

Mais les finalités de cette association sont ambiguës. Les objectifs étaient, pour Renault de fabriquer localement au plus vite un véhicule Renault américanisé à choisir parmi ses propres véhicules, pour AMC d’espérer relancer ses produits en utilisant tout ce qui pouvait l’être chez Renault, principalement des composants et des compétences, mais avec un pilotage assuré par AMC.

Dès le début, la collaboration fut le lieu d’affrontement entre les deux partenaires, alors qu’elle aurait dû servir à préparer l’avenir et construire une stratégie produits-industries cohérente et rationalisée pour ce nouvel ensemble.

En 1985, AMC n’a pas su renouveler sa gamme de Jeep et l’Alliance, version US de la R9, a connu de graves problèmes de qualité. Devant ce retournement, AMC se retrouva au bord de la faillite et Renault, devenu l'actionnaire majoritaire et lui-même face à des propres problèmes financiers, décida de vendre. Chrysler racheta AMC pour obtenir la marque Jeep, le nom AMC cessa dès lors d’exister.

Volvo : le divorce avant le mariage (1989 - 1993).

Après cet échec, Renault avait besoin plus que jamais de s’ouvrir à l'international. Déjà présent en Europe du sud et en Amérique latine, il était alors à la recherche de marchés plus rentables. Volvo, groupe de petite taille avait également besoin d’un partenaire pour créer une dynamique, il offrait à Renault une ouverture aux États-Unis et en Asie.

Les discussions entre Renault et Volvo débutèrent à la fin des années 1980 et une fusion sous la forme d’une Holding fut proposée trois ans plus tard le 6 septembre 1993.

Une étude de plateforme commune pour remplacer les véhicules haut de gamme de Renault et Volvo avait été lancée, mais malgré les complémentarités objectives entre ces deux entreprises, la fusion n'eut pas lieu. Volvo la refusa en décembre 1993, principalement en raison de l’attitude de l'État français actionnaire décideur : trop de temps perdu pour négocier l’accord (3 ans !), manque d’engagement sur la date de privatisation de Renault et souhait de l’État de garder une place spécifique au sein du capital du nouvel ensemble. Volvo, vraie fierté nationale pour les Suédois, perçut donc l’accord proposé comme une absorption imposée par Renault. Finalement Renault vendit sa branche camion à Volvo et la branche auto de Volvo fut vendue à Ford puis au constructeur Chinois Geely.

L'alliance Renault-Nissan (1999 - 2020).

Cet échec de l’Alliance avec Volvo va pousser Renault à une transformation en profondeur : privatisation en juillet 1996, réorganisation profonde, plan d’économie, objectif d’augmentation des volumes par l’internationalisation.

Les premiers contacts avec les constructeurs japonais eurent lieu début 1998. Neuf mois plus tard, en mars 1999, l’accord était signé avec Nissan avec pour objectif la construction d’un groupe bi-national et en aucun cas une fusion. Dès le départ, la relation est définie comme une alliance équilibrée préservant les marques et les identités techniques et culturelles de chacun, les deux entreprises conserveraient leur autonomie, cet équilibre étant garanti par la “Charte de l’Alliance”. Nissan apportait la maîtrise de la qualité de ses produits, la performance de sa gestion industrielle et sa dimension internationale, Renault apportait sa stratégie produit et sa gestion de gammes, l'innovation technologique et la maîtrise des coûts.

Après avoir réalisé les actions nécessaires au redressement de Nissan et avoir posé les règles de gouvernance de l'Alliance, la première synergie mise en place fut la création d'une direction des achats commune suivie graduellement d’un travail de renforcement des synergies. Après 15 ans d'existence, l'Alliance se dota en 2014 de quatre directions opérationnelles toutes dirigées par un cadre au nom de l'Alliance : l'ingénierie (les plateformes, les composants, la recherche), la fabrication et la logistique, les achats et enfin les ressources humaines. Puis en 2016 Nissan prit le contrôle de Mitsubishi.

La structure de cette Alliance permit un accroissement rapide des volumes de vente et en 2017 elle devint le 1er groupe automobile mondial. Mais la performance de la collaboration ne sera pas optimale, souffrant en particulier d’un manque de mise en commun des composants et des usines des deux entreprises. Sur certains projets chaque partenaire cherchera à garder son autonomie et à développer ses propres solutions spécifiques sur ses marchés afin de ne pas dépendre de l’autre pour se préserver en cas de séparation. 

En 2019 l’affaire Carlos Ghosn et la crise du covid-19 ont mis à jour les faiblesses de l’Alliance qui l'ont plongée dans de graves difficultés. Cette crise oblige les trois entreprises (Renault, Nissan et Mitsubishi) à se rapprocher et à franchir une étape supplémentaire vers plus d’intégration.

Pour sauver l’Alliance, en janvier 2020, une nouvelle organisation est définie pour renforcer davantage son modèle économique et consolider sa structure de gouvernance : “ chacune des trois entreprises sera référente pour une région dédiée… “ ; les collaborations se feront selon “un modèle leader / follower… Ainsi, une entreprise prendra la tête de l'Alliance pour le développement de chaque technologie clé, qui sera ensuite répartie entre les partenaires de l'Alliance.” (3). De plus l'Alliance change totalement de stratégie, la recherche de volume est abandonnée au profit de l’augmentation de la valeur des produits, une stratégie déjà déployée avec succès par PSA. A la sortie de cette crise un rééquilibrage des pouvoirs au sein de l’Alliance entre Renault et Nissan sera certainement nécessaire.

Conclusions.

L’expérience acquise après plusieurs échecs permit à Renault de réussir la construction de son Alliance avec Nissan en appliquant certaines règles.

La préparation de l’accord doit être rigoureuse et rapide, réalisée en quelques mois. Des équipes mixtes avec des représentants de chaque entreprise doivent identifier et évaluer les opportunités, faisabilité, potentiel de synergie, valorisation économique, et proposer une première stratégie produits-industries cohérente pour l’ensemble de l’Alliance. Ainsi cette phase avait durée 3 ans avec Volvo, mais seulement 9 mois avec Nissan.

Il paraît essentiel de démarrer immédiatement des projets en commun afin de se confronter à l’autre. Le facteur humain est déterminant pour la réussite d'une alliance stratégique internationale. Connaître et partager les mérites, les valeurs et les objectifs respectifs des deux partenaires dans tous les domaines, et développer la proximité physique et relationnelle entre les équipes à tous les niveaux de la hiérarchie, sont indispensables pour créer la confiance réciproque sans lesquelles la performance et la pérennité de l'alliance ne peuvent être garanties.

Les différences culturelles peuvent être un frein à la collaboration. Les expériences de Renault ont en effet révélé de telles difficultés. Pour les Français l'autorité vient principalement de la position hiérarchique et ils cherchent souvent à imposer une décision. Pour les Suédois l'autorité s'appuie sur la compétence et l'expérience, ils travaillent dans la négociation et la recherche du compromis. Dans les entreprises japonaises l'organisation du travail est verticale, un peu de type ''militaire'', avec un poids de la hiérarchie important. Le groupe prime sur l'individu, chacun effectue les tâches qui lui sont assignées d’où une très grande efficacité et rapidité dans l’exécution du travail, mais cela laisse moins de place à la créativité et l'innovation. La prise de décision est concertée selon un processus d'allers-retours entre la hiérarchie et les collaborateurs.

Afin d'éviter la rivalité et les oppositions qui risquent de détruire l'alliance, des instances de coordination communes sont indispensables pour réaliser les arbitrages nécessaires. Chaque entreprise doit pouvoir y déployer son propre plan stratégique en cohérence avec le plan commun de l'alliance dans le respect du partenaire. Le partenaire est aussi un challenger, un concurrent, Il faut alors trouver le juste équilibre entre d'une part les objectifs de performance de l'alliance en partageant savoir-faire, ressources, études et investissements et d'autre part la nécessité pour chacun de développer toutes ses compétences et son propre potentiel de croissance.

Une alliance est le lieu d’une confrontation de points de vue, de cultures, de savoirs et d'objectifs différents. Il s’en suit alors une remise en question par chacun de ses propres repères et de ses fonctionnements ce qui va modifier en profondeur l'entreprise.

Jacques Daigne
jacques.daigne@gmail.com
www.linkedin.com/in/jacques-daigne

 

Références :

 


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