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Comment rédiger une feuille de route pour déployer en entreprise l'intelligence artificielle ?

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Intelligence Artificielle en français, Artificial Intelligence en anglais sont des mots actuellement très médiatisés – respectivement 20 et 700 millions d'occurrences sur Internet en Mai 2020 (source : Google Search).

Ils sont associés à des messages parfois radieux - par exemple dans la description de la future condition humaine par le mouvement transhumaniste, parfois anxiogènes - HAL, le superordinateur qui prend le pouvoir dans le film 2001 Odyssée de l'espace, est-il bientôt une réalité ? - et souvent volontaristes - 'Voilà ce que les organisations doivent faire, de façon urgente'. La réalité à aujourd'hui est que l'IA est utilisée dans des cas d'usage divers, dans de nombreuses industries, encore assez fréquemment au stade de pilotes.

Quelles leçons tirer de ces premières utilisations, pour les entreprises qui veulent déployer concrètement l'IA, au-delà du foisonnement des annonces et promesses ?

Un point de départ pragmatique est de se centrer sur ce qu'est spécifiquement l'IA actuellement, à savoir au niveau technologique l'Apprentissage Automatique/ Profond - Machine Learning (ML) en Anglais, et au niveau opérationnel la capacité à générer de la prédiction fiable ([1]).

L'IA permet ainsi de réduire les incertitudes du type 'Quelles sont les causes probables de la situation ?', 'Que va-t-il probablement se passer ?', 'Que ferions-nous si nous étions experts ?'. L'IA représente donc une opportunité dans toutes les activités où réduire l'incertitude avant décision/action améliore les résultats.

Quelles questions se poser avant de déployer des capacités de diagnostic de situation et de prévision grâce à l'IA ?

L'expérience montre qu'il y a deux grands types de questions clés, celles relatives à l'organisation des métiers et fonctions support et celles relatives aux capacités technologiques.

'Où sont les opportunités d'utilisation de l'IA dans les processus de l'organisation ?'

Ce que le Dirigeant et son équipe doivent se demander dans un premier temps.

Il faut pour cela passer en revue les processus métiers et managériaux de l'organisation, pour repérer les étapes de diagnostic et de prévision, puis pour qualifier l'opportunité d'utilisation de l'IA.

Quatre points pour structurer la réflexion :

1°) Quelles améliorations de la prévision peut apporter l'IA ?

(plus précisément, sur quels points et à quel degré les prévisions seront-elles meilleures?)

A titre d'exemple, prenons le cas des services de télésurveillance de bâtiments. Le nombre de fausses alertes peut y atteindre jusqu'à 9 alertes sur 10 ([2]). Un outil IA pourrait éviter de se baser uniquement sur une source de données unique, par exemple des détecteurs de mouvement, comme peuvent le faire les systèmes de télésurveillance classiques, et chercher à identifier des corrélations avec d'autres types de données, issues par exemple de caméras de surveillance, de systèmes de fermeture de porte ou de volet, ou de données du voisinage du bâtiment.

2°) Comment l'IA va-t-elle s'intégrer dans les activités du décideur / de l'opérateur humain ?

(notamment comment des capacités de jugement de la part du décideur ou de l'opérateur humain pourront elles continuer à être exercées?)

Le jugement humain est en effet clé pour tout déploiement efficace et maitrisé d'une technologie.

Il s'agit de pouvoir évaluer les risques d'erreur, le degré de confiance à avoir en l'outil et les limites de son utilisation ([3]) et enfin d'identifier et de hiérarchiser les critères de choix / de décision.

Dans le cas de la télésurveillance, l'utilisation de caméras pour améliorer la prévision est à évaluer par rapport à l'atteinte à la vie privée perçue par l'utilisateur du bâtiment.

3°) Avec la prévision donnée par l'IA, qu'est ce qui va changer dans la décision/action ?

(quelles seront les décisions/actions qui n'auraient pas été possibles sans l'IA ?)

Dans le cas de la télésurveillance, la décision de faire intervenir un agent de sécurité suite à l'alarme sera moins souvent prise et sera remplacée par un contact téléphonique avec l'occupant légitime du bâtiment ou par l'activation de caméras.

4°) Quelles métriques seront utilisées pour mesurer les bénéfices de l'utilisation de l'IA ?

(en d'autres termes, est ce qu'il sera possible de vérifier si la prévision était effectivement exacte ?)

Dans le cas de la télésurveillance, si effectivement il s'agissait d'une fausse alarme.

'L'organisation a-t-elle les capacités technologiques pour mettre en place une démarche d'IA ?' est le deuxième temps de la réflexion du Dirigeant.

Rappelons que le ML est la capacité pour des ordinateurs à effectuer des tâches et résoudre des problèmes sans être explicitement programmés pour chacun d'entre eux, mais en 'apprenant' de façon autonome par des approches mathématiques et statistiques.

Un outil de ML peut être alors décrit par les quatre composantes suivantes :

  • Les données que le ML utilise, et plus précisément les données sur lesquelles l'apprentissage initial de l'outil s'effectue, celles utilisées pour la prédiction et celles permettant d'améliorer l'outil par retour sur l'exactitude a posteriori de la prédiction.
  • Les algorithmes d'apprentissage.
  • Une plateforme d'expérimentation des algorithmes.
  • Le système de mise en oeuvre de l'IA et d'interface avec les autres systèmes informatiques de l'organisation.

Plateforme et infrastructure conditionnent la montée en puissance de l'utilisation de l'IA. Mais c'est la qualité des données qui est primordiale pour pouvoir dans les faits démarrer un projet IA et qui inversement peut se révéler un facteur bloquant.

Trois questions aident à vérifier la qualité des données :

1°) Les données sont-elles suffisamment détaillées et structurées de la même façon au sein de l'organisation ? Ceci conditionnant la profondeur de l'apprentissage par les algorithmes.

2°) Les données sont-elles collectées et conservées de façon fiable et systématique ? L'enjeu est l'exactitude et la pertinence des prédictions.

3°) Les données relatives aux résultats réels peuvent-elles être rapprochées des prédictions ? Ceci conditionnant l'amélioration de l'apprentissage.

En plus de s'assurer de la qualité de ses données, l'organisation devra mettre en place une collecte de données large car, comme mentionné ci-dessus, le ML utilise différentes catégories de données.

  • Les données dites d'entrée doivent permettre de qualifier l'évènement déclencheur de prédiction - dans le cas de la télésurveillance, ce qui est en train de se passer quand l'alarme est déclenchée, par exemple des informations de détection de mouvement en temps réel.
  • Les données dites d'apprentissage doivent permettre de 'calibrer l'outil', par exemple en télésurveillance l'heure et le jour, le lieu et les autres informations de voisinage, et les caractéristiques de l'intrusion, à commencer par son caractère réel.
  • Les données dites de retour (feedback) doivent aider à améliorer la qualité de la prédiction.
    Elles sont idéalement variées, pour permettre de trouver des corrélations entre elles, par exemple en télésurveillance des données issues de capteurs sur les fenêtres et les portes, la luminosité affectant la qualité de détection des mouvements et les chocs signifiant potentiellement des allers et venues.

Quelles méthodes pour bien aborder le déploiement effectif d'outils d'IA ?

En conclusion, les retours d'expérience montrent que la mise en oeuvre effective d'outils d'IA peut parfois se révéler frustrante – les contraintes du réel après les effets d'annonce de la part de certains vendeurs ou prestataires, voire malaisée – les prérequis technologiques sont réels, notamment pour ce qui est des données de l'organisation.

Cela étant, la bonne nouvelle est que cette mise en oeuvre demande en final une réflexion managériale très classique sur les processus de décision en entreprise. Le Dirigeant doit s'attendre à un travail d'organisation systématique et rigoureux pour concrétiser les promesses de l'IA, travail nécessaire mais là aussi tout à fait classique et réalisable.

Philippe Ginier-Gillet
philippe.ginier-gillet@in-flexion.com
https://www.linkedin.com/in/philippeginiergillet/

 

 

Télécharger la Lettre de XMP-Consult n°8 (juin 2020) en .PDF

  

[1] Pour plus de détails, voir l'article 'Qu'attendre de l'Intelligence Artificielle, pendant et après la crise Covid-19', paru dans le numéro d'Avril 2020 de la revue XMP-Consult

[2] source: US Department of Justice, Office of Coummunity Orientation Policing Services, 2007, section False Burglar Alarms

[3] 'le 26 Septembre 1983, le jour où des missiles nucléaires Américains ont été lancés sur l'URSS, est un exemple marquant, analysé notamment dans l'article cité en note 24




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